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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/592

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lui, le principal symptôme est une grande soif[1] ; mais je soupçonne que cette maladie n’est autre chose que la mue, laquelle se fait plus lentement dans le corbeau que dans plusieurs autres oiseaux de proie[2].

Aucun observateur, que je sache, n’a déterminé l’âge auquel les jeunes corbeaux, ayant pris la plus grande partie de leur accroissement, sont vraiment adultes et en état de se reproduire ; et si chaque période de la vie était proportionnée dans les oiseaux, comme dans les animaux quadrupèdes, à la durée de la vie totale, on pourrait soupçonner que les corbeaux ne deviendraient adultes qu’au bout de plusieurs années ; car quoiqu’il y ait beaucoup à rabattre sur la longue vie que Hésiode accorde aux corbeaux[3], cependant il paraît assez avéré que cet oiseau vit quelquefois un siècle et davantage : on en a vu dans plusieurs villes de France qui avaient atteint cet âge, et dans tous les pays et tous les temps il a passé pour un oiseau très vivace ; mais il s’en faut bien que le terme de l’âge adulte, dans cette espèce, soit retardé en proportion de la durée totale de la vie, car sur la fin du premier été, lorsque toute la famille vole de compagnie, il est déjà difficile de distinguer à la taille les vieux d’avec les jeunes, et dès lors il est très probable que ceux-ci sont en état de se reproduire dès la seconde année.

Nous avons remarqué plus haut que le corbeau n’était pas noir en naissant ; il ne l’est pas non plus en mourant, du moins quand il meurt de vieillesse, car dans ce cas son plumage change sur la fin, et devient jaune par défaut de nourriture[4] : mais il ne faut pas croire qu’en aucun temps cet oiseau soit d’un noir pur, et sans mélange d’aucune autre teinte ; la nature ne connaît guère cette uniformité absolue. En effet, le noir qui domine dans cet oiseau paraît mêlé de violet sur la partie supérieure du corps, de cendré sur la gorge, et de vert sous le corps, sur les pennes de la queue et sur les plus grandes pennes des ailes et les plus éloignées du dos[5]. Il n’y a que les pieds, les ongles et le bec qui soient absolument noirs, et ce noir du bec semble pénétrer jusqu’à la langue, comme celui des plumes semble pénétrer jusqu’à la chair, qui en a une forte teinte. La langue est cylindrique à sa base, aplatie et fourchue à son extrémité, et hérissée de petites pointes sur ses

  1. Lib. xxix, cap. iii.
  2. Voyez Gesner, p. 336.
  3. « Hesiodus… Cornici novem nostras adtribuit ætates, quadruplum ejus cervis, id triplicatum corvis. » Pline, lib. vii, cap. xlviii. En prenant l’âge d’homme, seulement pour trente ans, ce serait neuf fois 30 ou 270 ans pour la corneille, 1 080 pour le cerf, et 3 240 pour le corbeau. En réduisant l’âge d’homme à 10 ans, ce serait 90 ans pour la corneille, 360 pour le cerf, et 1 080 pour le corbeau, ce qui serait encore exorbitant. Le seul moyen de donner un sens raisonnable à ce passage, c’est de rendre le γενεά d’Hésiode et l’ætas de Pline par année ; alors la vie de la corneille se réduit à 9 années, celle du cerf à 36, comme elle a été déterminée dans l’Histoire naturelle de cet animal, et celle du corbeau à 108, comme il est prouvé par l’observation.
  4. « Corvorum pennæ postremò in colorem flavum transmutantur, cùm scilicet alimente destituuntur. » De Coloribus.
  5. Voyez l’ornithologie de M. Brisson, t. II, p. 8.