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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/593

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bords. L’organe de l’ouïe est fort compliqué, et peut-être plus que dans les autres oiseaux[1]. Il faut qu’il soit aussi plus sensible, si l’on peut ajouter foi à ce que dit Plutarque, qu’on a vu des corbeaux tomber comme étourdis par les cris d’une multitude nombreuse et agitée de quelque grand mouvement[2].

L’œsophage se dilate à l’endroit de sa jonction avec le ventricule, et forme par sa dilatation une espèce de jabot qui n’avait point échappé à Aristote. La face intérieure du ventricule est sillonnée de rugosités ; la vésicule du fiel est fort grosse et adhérente aux intestins[3]. Redi a trouvé des vers dans la cavité de l’abdomen[4]. La longueur de l’intestin est à peu près double de celle de l’oiseau même, prise du bout du bec au bout des ongles, c’est-à-dire qu’elle est moyenne entre la longueur des intestins des véritables carnivores, et celle des intestins des véritables granivores ; en un mot, telle qu’il convient pour un oiseau qui vit de chair et de fruits[5].

Cet appétit du corbeau, qui s’étend à tous les genres de nourritures, se tourne souvent contre lui-même par la facilité qu’il offre aux oiseleurs de trouver des appâts qui lui conviennent. La poudre de noix vomique, qui est un poison pour un grand nombre d’animaux quadrupèdes, en est aussi un pour le corbeau ; elle l’enivre au point qu’il tombe bientôt après qu’il en a mangé, et il faut saisir le moment où il tombe, car cette ivresse est quelquefois de courte durée, et il reprend souvent assez de forces pour aller mourir ou languir sur son rocher[6]. On le prend aussi avec plusieurs sortes de filets, de lacets et de pièges, et même à la pipée, comme les petits oiseaux ; car il partage avec eux leur antipathie pour le hibou, et il n’aperçoit jamais cet oiseau ni la chouette sans jeter un cri[7]. On dit qu’il est aussi en guerre avec le milan, le vautour, la pie de mer[8] ; mais ce n’est autre chose que l’effet de cette antipathie nécessaire qui est entre tous les animaux carnassiers, ennemis-nés de tous les faibles qui peuvent devenir leur proie, et de tous les forts qui peuvent la leur disputer.

Les corbeaux, lorsqu’ils se posent à terre, marchent et ne sautent point ; ils ont, comme les oiseaux de proie, les ailes longues et fortes (à peu près trois pieds et demi d’envergure) ; elles sont composées de vingt pennes, dont

  1. Actes de Copenhague, année 1673. Observat. lii.
  2. Vie de T. Q. Flaminius.
  3. Willughby, p. 83 ; et Aristote, Hist. animal., lib. ii, cap. xvii.
  4. Collection Académique étrangère, t. IV, p. 521.
  5. Un observateur digne de foi m’a assuré avoir vu le manège d’un corbeau, qui s’éleva plus de vingt fois à la hauteur de 12 ou 15 toises pour laisser tomber de cette hauteur une noix qu’il allait ramasser chaque fois avec son bec ; mais il ne put venir à bout de la casser, parce que tout cela se passait dans une terre labourée.
  6. Voyez Gesner, p. 339. — Journal économique de décembre 1758.
  7. Traité de la Pipée.
  8. Voyez Ælian, Natur. animal., lib. ii, cap. li. — Aldrovand., t. Ier, p. 710, et Collection Acad. étrang., t. Ier de l’Histoire naturelle, p. 196.