Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/594

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les deux ou trois premières[1] sont plus courtes que la quatrième, qui est la plus longue de toutes[2], et dont les moyennes ont une singularité, c’est que l’extrémité de leur côte se prolonge au delà des barbes et finit en pointe. La queue a douze pennes d’environ huit pouces, cependant un peu inégales, les deux du milieu étant les plus longues, et ensuite les plus voisines de celles-là, en sorte que le bout de la queue paraît un peu arrondi sur son plan horizontal[3] : c’est ce que j’appellerai dans la suite queue étagée.

De la longueur des ailes on peut presque toujours conclure la hauteur du vol ; aussi les corbeaux ont-ils le vol très élevé, comme nous l’avons dit, et il n’est pas surprenant qu’on les ait vus, dans les temps de nuées et d’orage, traverser les airs ayant le bec chargé de feu[4]. Ce feu n’était autre chose, sans doute, que celui des éclairs mêmes, je veux dire qu’une aigrette lumineuse, formée à la pointe de leur bec par la matière électrique, qui, comme on sait, remplit la région supérieure de l’atmosphère dans ces temps d’orage ; et, pour le dire en passant, c’est peut-être quelque observation de ce genre qui a valu à l’aigle le titre de ministre de la foudre ; car il est peu de fables qui ne soient fondées sur la vérité.

De ce que le corbeau a le vol élevé, comme nous venons de le voir, et de ce qu’il s’accommode à toutes les températures, comme chacun sait[5], il s’ensuit que le monde entier lui est ouvert, et qu’il ne doit être exclu d’aucune région. En effet, il est répandu depuis le cercle polaire[6] jusqu’au cap de Bonne-Espérance[7], et à l’île de Madagascar[8], plus ou moins abondamment, selon que chaque pays fournit plus ou moins de nourriture, et des rochers qui soient plus ou moins à son gré[9] : il passe quelquefois des côtes de Barbarie dans l’île de Ténériffe ; on le retrouve encore au Mexique, à Saint-Domingue, au Canada[10], et sans doute dans les autres parties du nouveau continent et dans les îles adjacentes. Lorsqu’une fois il est établi dans un pays et qu’il y a pris ses habitudes, il ne le quitte guère pour passer dans

  1. MM. Brisson et Linnæus disent deux, et M. Willughby dit trois.
  2. Ce sont ces pennes de l’aile qui servent aux facteurs pour emplumer les sautereaux des clavecins, et aux dessinateurs pour dessiner à la plume.
  3. Ajoutez à cela que les corbeaux ont, sur presque tout le corps, double espèce de plumes, et tellement adhérentes à la peau, qu’on ne peut les arracher qu’à force d’eau chaude.
  4. « Hermolaus Barbarus, vir gravis et doctus, aliique philosophi ainnt… dum fulmina tempestatum tempore finnt, corvi per aerem hac illac circumvolantes rostro ignem deferre. » Scala Naturalis apud Aldrovand., t. Ier, p. 704.
  5. « Quasvis aeris mutationes facilè tolerant, nec frigus nec calorem reformidant… ubicumque alimenti copia suppetit degere sustinent… in solitudine, in urbibus etiam populosissimis. » Ornitholog., p. 82.
  6. Klein, Ordo avium, p. 58 et 167 ; mais ces auteurs parlaient-ils du même corbeau ?
  7. Kolbe, Description du Cap, p. 136.
  8. Voyez Flacourt.
  9. Pline dit, d’après Théophraste, que les corbeaux étaient étrangers à l’Asie, lib. x, cap. xxix.
  10. Charlevoix, Histoire de l’île espagnole de Saint-Domingue, t. Ier, p. 30 ; et Histoire de la Nouvelle-France, du même, p. 155.