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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/599

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peu près de la même manière : c’est alors que l’on voit autour des lieux habités des volées nombreuses, composées de toutes les espèces de corneilles, se tenant presque toujours à terre pendant le jour, errant pêle-mêle avec nos troupeaux et nos bergers, voltigeant sur les pas de nos laboureurs et sautant quelquefois sur le dos des cochons et des brebis avec une familiarité qui les ferait prendre pour des oiseaux domestiques et apprivoisés. La nuit elles se retirent dans les forêts sur de grands arbres qu’elles paraissent avoir adoptés et qui sont des espèces de rendez-vous, des points de ralliement où elles se rassemblent le soir de tous côtés, quelquefois de plus de trois lieues à la ronde, et d’où elles se dispersent tous les matins : mais ce genre de vie, qui est commun aux trois espèces de corneilles, ne réussit pas également à toutes ; car les corbines et les mantelées deviennent prodigieusement grasses, au contraire des frayonnes qui sont presque toujours maigres, et ce n’est pas la seule différence qui se remarque entre ces espèces. Sur la fin de l’hiver, qui est le temps de leurs amours, tandis que les frayonnes vont nicher dans d’autres climats, les corbines, qui disparaissent en même temps de la plaine, s’éloignent beaucoup moins ; la plupart se réfugient dans les grandes forêts qui sont à portée, et c’est alors qu’elles rompent la société générale pour former des unions plus intimes et plus douces ; elles se séparent deux à deux et semblent se partager le terrain, qui est toujours une forêt, de manière que chaque paire occupe son district d’environ un quart de lieue de diamètre, dont elle exclut toute autre paire[1], et d’où elle ne s’absente que pour aller à la provision. On assure que ces oiseaux restent constamment appariés toute leur vie ; on prétend même que lorsque l’un des deux vient à mourir, le survivant lui demeure fidèle et passe le reste de ses jours dans une irréprochable viduité.

On reconnaît la femelle à son plumage, qui a moins de lustre et de reflets : elle pond cinq ou six œufs, elle les couve environ trois semaines, et pendant qu’elle couve le mâle lui apporte à manger.

J’ai eu occasion d’examiner un nid de corbine qui m’avait été apporté dans les premiers jours du mois de juillet. On l’avait trouvé sur un chêne à la hauteur de huit pieds, dans un bois en coteau où il y avait d’autres chênes plus grands : ce nid pesait deux ou trois livres ; il était fait en dehors de petites branches et d’épines, entrelacées grossièrement et mastiquées avec de la terre et du crottin de cheval ; le dedans était plus mollet et construit plus soigneusement avec du chevelu de racines. J’y trouvai six petits éclos ; ils étaient encore vivants, quoiqu’ils eussent été vingt-quatre heures sans manger ; ils n’avaient pas les yeux ouverts[2] ; on ne leur apercevait aucune plume, si ce n’est les pennes de l’aile qui commençaient à poindre ;

  1. C’est peut-être ce qui a donné lieu de dire que les corbeaux chassaient leurs petits de leur district sitôt que ces petits étaient en état de voler.
  2. Voyez Aristot., De generatione, lib. iv, cap. vi.