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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/603

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LE FREUX OU LA FRAYONNE

Le freux[NdÉ 1] est d’une grosseur moyenne entre le corbeau et la corbine, et il a la voix plus grave que les autres corneilles : son caractère le plus frappant et le plus distinctif, c’est une peau nue, blanche, farineuse et quelquefois galeuse qui environne la base de son bec, à la place des plumes noires et dirigées en avant, qui dans les autres espèces de corneilles s’étendent jusque sur l’ouverture des narines ; il a aussi le bec moins gros, moins fort et comme râpé. Ces disparités, si superficielles en apparence, en supposent de plus réelles et de plus considérables.

Le freux n’a le bec ainsi râpé, et sa base dégarnie de plumes, que parce que, vivant principalement de grains, de petites racines, de vers, il a coutume d’enfoncer son bec fort avant dans la terre pour y chercher la nourriture qui lui convient[1], ce qui ne peut manquer à la longue de rendre le bec raboteux et de détruire les germes des plumes de sa base, lesquelles sont exposées à un frottement continuel[2] ; cependant il ne faut pas croire que cette peau soit absolument nue ; on y aperçoit souvent de petites plumes isolées, preuve très forte qu’elle n’était point chauve dans le principe, mais qu’elle l’est devenue par une cause étrangère ; en un mot, que c’est une espèce de difformité accidentelle qui s’est changée en un vice héréditaire par les lois connues de la génération.

L’appétit du freux pour les grains, les vers et les insectes, est un appétit exclusif, car il ne touche point aux voiries ni à aucune chair ; il a de plus le ventricule musculeux et les amples intestins des granivores.

Ces oiseaux vont par troupes très nombreuses, et si nombreuses que l’air en est quelquefois obscurci. On imagine tout le dommage que ces hordes de moissonneurs peuvent causer dans les terres nouvellement ensemencées ou dans les moissons qui approchent de la maturité : aussi dans plusieurs pays le gouvernement a-t-il pris des mesures pour les détruire[3]. La Zoologie

  1. Voyez Belon, Nature des oiseaux, p. 282.
  2. M. Daubenton le jeune, garde-démonstrateur du Cabinet d’histoire naturelle au Jardin du Roi, fit dernièrement, en se promenant à la campagne, une observation qui a rapport à ceci. Ce naturaliste, à qui l’ornithologie a déjà tant d’obligations, vit de loin, dans un terrain tout à fait inculte, six corneilles dont il ne put distinguer l’espèce, lesquelles paraissaient fort occupées à soulever et retourner les pierres éparses çà et là pour faire leur profit des vers et des insectes qui étaient cachés dessous. Elles y allaient avec tant d’ardeur qu’elles faisaient sauter les pierres les moins pesantes à deux ou trois pieds. Si ce singulier exercice, que personne n’avait encore attribué aux corneilles, est familier aux freux, c’est une cause de plus qui peut contribuer à user et faire tomber les plumes qui environnent la base de leur bec ; et le nom de tourne-pierre, que jusqu’ici l’on avait appliqué exclusivement au coulonchaud, deviendra désormais un nom générique qui conviendra à plusieurs espèces.
  3. Voyez Aldrovande, Ornithologie, t. Ier, p. 753.
  1. Corvus frugilegus L. [Note de Wikisource : actuellement Corvus frugilegus Linnæus, vulgairement corbeau freux].