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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/85

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À tout considérer, on doit dire que cet oiseau n’est pas un aigle, quoiqu’il ressemble plus aux aigles qu’aux autres oiseaux de proie. D’abord il est bien plus petit[1], il n’a ni le port, ni la figure, ni le vol de l’aigle. Ses habitudes naturelles sont aussi très différentes, ainsi que ses appétits, ne vivant guère que de poisson qu’il prend dans l’eau, même à quelques pieds de profondeur[2] ; et ce qui prouve que le poisson est en effet sa nourriture la plus ordinaire, c’est que sa chair en a une très forte odeur. J’ai vu quelquefois cet oiseau demeurer pendant plus d’une heure perché sur un arbre, à portée d’un étang, jusqu’à ce qu’il aperçût un gros poisson sur lequel il pût fondre et l’emporter ensuite dans ses serres. Il a les jambes nues et ordinairement de couleur bleuâtre ; cependant il y en a quelques-uns qui ont les jambes et les pieds jaunâtres, les ongles noirs très grands et très aigus, les pieds et les doigts si raides qu’on ne peut les fléchir ; le ventre tout blanc, la queue large et la tête grosse et épaisse. Il diffère donc des aigles en ce qu’il a les pieds et le bas des jambes dégarnis de plumes, et que l’ongle de derrière est le plus court, tandis que dans les aigles cet ongle de derrière est le plus long de tous ; il diffère encore en ce qu’il a le bec plus noir que les aigles, et que les pieds, les doigts, et la peau qui recouvre la base du bec sont ordinairement bleus, au lieu que dans les aigles toutes ces parties sont jaunes. Au reste, il n’a pas de demi-membranes entre les

  1. Il y a une différence plus grande encore que dans les aigles entre la femelle et le mâle balbuzard : celui que M. Brisson a décrit, et qui sans doute était mâle, n’avait qu’un pied sept pouces de longueur jusqu’aux ongles, et cinq pieds trois pouces de vol ; et un autre que l’on m’a apporté n’avait qu’un pied neuf pouces de longueur de corps, et cinq pieds sept pouces de vol : au lieu que la femelle, décrite par MM. de l’Académie des sciences sous le nom d’haliætus, à l’article de l’aigle que nous avons cité, avait deux pieds neuf pouces de longueur de corps, y compris la queue, ce qui fait au moins deux pieds de longueur pour le corps seul, et sept pieds et demi de vol ; cette différence est si grande qu’on pourrait douter que cet oiseau décrit par MM. de l’Académie fût le balbuzard ou craupêcherot, si l’on n’en était assuré par les autres indications.
  2. Malgré toutes ces différences, Aristote a mis le balbuzard au nombre des aigles, et voici ce qu’il en dit : « Quintum (aquilæ) genus est quod haliætus, hoc est marina vocatur, cervice magnâ et crassâ, alis curvantibus, caudâ latâ ; moratur hæc in littoribus et oris. Accidit huic sæpius ut cùm ferre quod ceperit nequeat, in gurgitem demergatur. » Aristot., Hist. anim., lib. ix, cap. xxxii. Mais il faut observer que les Grecs comprenaient tous les oiseaux de proie qui volent de jour sous les noms génériques de aëtos, gyps et hierax, c’est-à-dire, aquila, vultur et accipiter ; aigle, vautour et épervier, et que dans ces trois genres ils en distinguaient peu par des noms spécifiques ; et c’est sans doute par cette raison qu’Aristote a mis le balbuzard au nombre des aigles. Je ne conçois pas pourquoi M. Ray, qui d’ailleurs est un écrivain savant et exact, assure que l’haliætus et l’ossifraga ne sont que le même oiseau, puisque Aristote les distingue si nettement tous deux et qu’il en traite dans deux chapitres séparés ; la seule raison que Ray donne de son opinion, c’est que le balbuzard étant trop petit pour être mis au nombre des aigles, il n’est pas l’haliætus ; mais il n’a pas fait attention que le morphnus ou petit aigle, auquel on peut faire le même reproche, a cependant été compté parmi les aigles, comme l’haliætus, par Aristote, et qu’il n’est pas possible que l’haliætus soit l’ossifraga, puisqu’il en assigne toutes les différences. Je fais cette remarque, parce que cette erreur de Ray a été adoptée et répétée par plusieurs auteurs, et surtout par les Anglais.