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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/87

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confonde avec les aigles[1]. Aristote assure que cet oiseau a la vue très perçante[2] ; il force, dit-il, ses petits à regarder le soleil, et il tue ceux dont les yeux ne peuvent en supporter l’éclat ; ce fait, que je n’ai pu vérifier, me paraît difficile à croire, quoiqu’il ait été rapporté, ou plutôt répété par plusieurs autres auteurs, et qu’on l’ait même généralisé en l’attribuant à tous les aigles qui contraignent, dit-on, leurs petits à regarder fixement le soleil ; cette observation me paraît bien difficile à faire, et d’ailleurs il me semble qu’Aristote, sur le témoignage duquel seul le fait est fondé, n’était pas trop bien informé au sujet des petits de cet oiseau ; il dit qu’il n’en élève que deux, et qu’il tue celui qui ne peut regarder le soleil. Or nous sommes assurés qu’il pond souvent quatre œufs, et rarement moins de trois ; que, de plus, il élève tous ses petits. Au lieu d’habiter les rochers escarpés et les hautes montagnes comme les aigles, il se tient plus volontiers dans les terres basses et marécageuses, à portée des étangs et des lacs poissonneux ; et il me paraît encore que c’est à l’orfraie ou ossifrague, et non pas au balbuzard ou haliætus qu’il faut attribuer ce que dit Aristote de sa chasse aux oiseaux de mer[3], car le balbuzard pêche bien plus qu’il ne chasse, et je n’ai pas ouï dire qu’il s’éloignât du rivage à la poursuite des mouettes ou des autres oiseaux de mer ; il paraît au contraire qu’il ne vit que de poisson. Ceux qui ont ouvert le corps de cet oiseau n’ont trouvé que du poisson dans son estomac, et sa chair qui, comme je l’ai dit, a une très forte odeur de poisson, est un indice certain qu’il en fait au moins sa nourriture habituelle ; il est ordinairement très gras, et il peut, comme les aigles, se passer d’aliments pendant plusieurs jours sans en être incommodé ni paraître affaibli[4]. Il est aussi moins fier et moins féroce que l’aigle ou le pygargue, et l’on prétend qu’on peut assez aisément le dresser pour la pêche, comme l’on dresse les autres oiseaux pour la chasse.

Après avoir comparé les témoignages des auteurs, il m’a paru que l’espèce du balbuzard est l’une des plus nombreuses des grands oiseaux de proie, et qu’elle est répandue assez généralement en Europe, du nord au midi, depuis

  1. M. Salerne a fait une méprise en disant que l’oiseau appelé en Bourgogne craupêcherot est l’ossifrague ou le grand aigle de mer ; c’est, au contraire, celui qu’il appelle le faucon de marais qui est le craupêcherot. Voyez l’Ornithol. de M. de Salerne, in-4o. Paris, 1767, p. 6 et 7, et corrigez cette erreur.
  2. « At vero marina illa (aquila) clarissimâ oculorum acie est, ac pullos adhuc implumes cogit adversos intueri solem, percutit eum qui recuset et vertit ad solem ; tum cujus oculi prius lacrymârint hunc occidit, reliquum educat. » Aristot., Hist. anim., lib. ix, cap. xxxiv.
  3. « Vagatur hæc (aquila) per mare et littora, unde nomen accepit. Vivitque avium marinarum venatu. Aggreditur singulas. » Aristot., lib. ix, cap. xxxiv.
  4. « Captus aliquando haliætus a doctissimo quodam medico, moribus satis placidus visus fuit, ac tractabilis et famis patientissimus. Vixit dies septem absque omni cibo et quidem in altâ quiete… Carnem oblatam recusavit, pisces sine dubio voraturus, si exhibiti fuissent, cùm certo constaret eum hisce vivere. » Aldrov. Ornithol., t. I, liv. ii, p. 495.