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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/248

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CHRONIQUES

diens eux-mêmes ; ils s’étonnent de voir un si vaste pays isolé pendant si longtemps, sauvage encore et inconnu. Le bas Saint-Laurent, découvert il y a plus de trois siècles, n’a pas été révélé encore ; il faut recommencer la découverte, sacrifier la tradition, abandonner le rêve et embrasser la réalité, maintenant que chacun est à portée de se rendre compte par lui-même.

Le voyage de Gaspé, long de quatre cent quarante-trois milles, se fait maintenant en trente-six heures, à partir de Québec. Par terre, le même voyage prend dix jours, parce que, sur un parcours de cent dix milles, de Sainte-Anne des Monts au bassin de Gaspé, le chemin n’est pas encore propre à la voiture ; le postillon, chargé de la malle dans cette partie du pays, la porte sur son dos ; il fait tout ce trajet à pied.

Comment se fait-il que des hommes habitent cette contrée âpre, aride, dure, presque repoussante, qui s’étend de Cap Chat au bassin de Gaspé ? On le conçoit à peine. Cependant, vous le voyez, ça et là apparaissent des lopins de terre cultivés, des maisons éparses sur le rivage, et, de distance en distance, des petites églises. Mais n’anticipons pas ; il ne faut pas aller plus vite que le steamer..

Je vous ai laissé à midi et demie, je vous reprends à six heures du soir. En ce moment, l’ombre des grandes montagnes s’épanche sur le fleuve comme un manteau agité par la brise. D’un côté, à cinq milles de nous, sur la rive sud, la silhouette sévère, hautaine, des monts Saint-Louis qui se dressent comme des géants entassés, pleins de colères, sous les rayons doux, craintifs