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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/361

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larme, murmure, harmonie, caresse ; c’est l’éternité qui se circonscrit et se rassemble pour que l’homme puisse l’embrasser au moins du regard.

Je restais là des heures, des heures que j’ignore, car, alors, je n’appartenais plus à la terre. Parfois j’ai cru avoir des ailes et j’étais soulevé ; tous les mondes lumineux m’attiraient et j’étais prêt à prendre mon vol. Oh ! combien je sentais alors que je ne suis ici-bas qu’en fugitif, que j’y traverse une phase de mon existence, et que je ne peux pas plus avoir de terme que l’espace lui-même que je gravite par la pensée, jusqu’au dernier astre qu’atteint mon regard !

Malheur, malheur, à celui qui ne s’est jamais arrêté une heure pour contempler une nuit semée d’étoiles ! Il a peut-être raison de se croire mortel, puisque sa pensée ne dépasse pas sa sphère ni son horizon.

J’ai lu peu de choses sur l’immortalité de l’âme, à peine même l’entretien de Socrate avec ses amis la veille de sa mort. Je n’en ai pas besoin, parce que je ne tire pas mes arguments de la philosophie, mais de la nature des choses. Je n’ai qu’à me demander pourquoi je vis, je n’ai qu’à regarder un homme, chercher son regard presque toujours porté vers le ciel, contempler son front que les mondes ne peuvent remplir, pour savoir que ce qui, de cet être-là deviendra l’aliment des vers, n’est que son enveloppe de nerfs et de muscles, semblable à celle qui retient le papillon jusqu’au moment où il s’envole dans les airs.