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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/391

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Voilà quels étaient les sentiments chez les uns et les autres, chez un grand nombre, à la vue du corbillard hermétiquement fermé, traîné par six vilains chevaux qui gravissaient péniblement la côte de la haute ville, et suivi d’un aussi maigre cortège. Évidemment, on sentait que le mort qui passait silencieux sous les nombreuses tentures déployées avec ostentation sur son chemin n’avait jamais rien fait qui allât au cœur du peuple, rien qui laissât de lui un souvenir immortel, une mémoire chérie, qu’il n’avait jamais mis son âme et sa vie en rapport avec l’âme et la vie du peuple qu’il avait été appelé à défendre et à servir ; on sentait que c’était presque un inconnu, sans doute très-haut placé, sans doute superbe, qui, ce jour-là, couché dans une bière, passait comme parmi des étrangers ; on se rappelait qu’il était mort en Canada de véritables grands hommes, de beaucoup supérieurs sous tous les rapports à ce chef de parti pour qui le canon tonnait, pour qui se pavoisaient les édifices publics et les églises, et qu’on n’avait pas fait en leur honneur la moindre démonstration pour témoigner de l’empreinte impérissable qu’ils laissaient dans l’âme de plusieurs générations, comme aussi de la trace immortelle qu’ils laissaient dans l’histoire ; on se demandait pourquoi cette pompe purement officielle, purement organisée, à laquelle ne répondaient aucune impulsion, aucun élan publics, et l’on s’étonnait qu’on eût fait tant de frais au milieu d’un si grand vide.

Mais laissons là ces idées et ces impressions du moment ; l’histoire ne tardera pas à parler à son tour ; peut-être sera-t-elle plus exacte, plus sûre dans son appréciation, mais sera-t-elle plus clémente ? Cela