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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/101

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Soudain Leslie fut tiré de sa rêverie par quelqu’un qui lui touchait amicalement l’épaule. Il se retourna et aperçut Lévy.

« Ne vous l’avais-je pas dit ? s’écria le baron avec un sourire triomphant.

— Vous êtes donc certain de la défaite du ministère ?

— J’ai passé la matinée à examiner la liste des votants avec un député de mes clients qui les connaît tous comme un berger connaît ses moutons. L’opposition aura pour le moins vingt-cinq voix de majorité.

— Si les affaires d’Audley sont dans l’état où vous le dites, que va-t-il faire ? demanda Randal.

— C’est ce que je me promets de lui demander demain, répondit le baron avec un regard où éclatait la haine, et je ne suis ici que pour voir de quel air il va affronter l’avenir qui l’attend.

— Vous ne le verrez pas sur son visage, c’est moi qui vous en réponds. Et quand on songe à ses absurdes scrupules ! S’il avait voulu sortir à temps pour rentrer ensuite avec des hommes nouveaux !

— Oh ! notre très-honorable est trop scrupuleux pour cela, bien entendu. »

Soudain les portes se rouvrent ; la foule haletante se précipite dans la Chambre.

« Quel est le résultat ? Combien de voix ?…

— La majorité contre le ministère, dit un membre de l’opposition en épluchant une orange, est de vingt-neuf voix. »

Le baron rentra avec Randal et s’assit à côté de lui, mais, à leur grand désappointement, un membre parlait des autres motions présentées à la Chambre.

« Quoi ! n’a-t-on rien dit après le scrutin ? » demanda le baron à un jeune membre placé devant lui, qui causait avec un ami étranger à la Chambre.

Le jeune membre était un des fils aînés favoris de Lévy, il avait souvent dîné chez le baron, il lui avait des obligations ; néanmoins, honteux de sa familiarité, il répondit à la hâte :

« Oh ! oui. H. a demandé si, après une pareille manifestation, les ministres avaient l’intention de garder leurs portefeuilles et de continuer à diriger les affaires ?

— C’est bien de H. Je reconnais là son esprit curieux et investigateur. Et que lui a-t-on répondu ?

— Rien, dit le jeune membre, qui se hâta d’aller reprendre son siège au centre de la Chambre.

— Voici Egerton qui sort, » dit le baron. En effet, tandis que la plupart des membres quittaient la Chambre pour aller causer de l’état des affaires dans les clubs et dans les salons, et répandre dans la ville la grande nouvelle, la haute taille d’Egerton permettait d’apercevoir sa tête au-dessus de toutes les autres. Lévy fut désappointé, car non-seulement la belle figure de l’homme d’État, bien qu’un peu pâle, était calme et sereine, mais la foule s’écartait devant le ministre déchu, avec une courtoisie évidente et un respect marqué.