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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/111

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eût assuré à sa sœur une dot si considérable, s’il ne la lui devait légalement. C’est le montant de la fortune de celle-ci, dont au moyen de je ne sais quelle transaction assez illégale avec feu son mari, il a réussi à s’emparer. Si Mme di Negra lui intentait un procès à ce sujet, il le perdrait très-certainement. Je lui ai expliqué cela et vous pouvez maintenant comprendre pourquoi la somme est ainsi taxée. Mais j’ai racheté les dettes de Mme di Negra, j’ai aussi racheté celles du jeune Hazeldean (car un mariage entre eux deux devra faire partie de nos engagements), et je présenterai à Peschiera et à ces deux excellents conjoints un mémoire qui absorbera les vingt mille livres. Cette somme passera donc tout entière entre mes mains. Si j’arrive à éteindre toutes leurs dettes pour la moitié de la somme, comme j’en ai le droit, étant moi-même l’unique créancier, il en restera la moitié. Et s’il me plaît de vous la donner en échange de services qui procureront à Peschiera une fortune princière, payeront les dettes de sa sœur, et assureront à celle-ci un mari dans la personne de mon jeune client M. Hazeldean, c’est mon affaire. Toutes les parties seront satisfaites et personne n’a rien à y voir. La somme est considérable sans doute ; il me convient de vous la donner ; vous convient-il de la recevoir ? »

Randal était vivement agité, mais tout corrompu qu’il était, et bien qu’il fût arrivé systématiquement à ne considérer les autres qu’au point de vue de son intérêt personnel, cependant chez ceux que le crime n’a pas encore endurcis, il y a une grande distance de la pensée à l’acte ; Randal aurait probablement employé sans beaucoup de scrupules son ingénuité à ce genre d’escroquerie morale qu’on appelle se montrer plus fin qu’un autre ; cependant, à l’idée d’accepter ouvertement de l’argent pour trahir ce pauvre Italien qui lui avait témoigné une si généreuse confiance, il reculait. Il allait refuser lorsque Lévy, ouvrant son portefeuille, jeta un coup d’œil sur le mémorandum et dit à demi-voix, comme se parlant à lui-même : « Rood-Manor, Dalmansberry vendu aux Thornhill par sir Gilbert Leslie ; le revenu net en est aujourd’hui estimé à deux mille deux cent cinquante livres. C’est la plus belle occasion que j’aie jamais vue. Une fois propriétaire de ces domaines, Leslie, avec vos talents, je ne vois pas pourquoi vous n’arriveriez pas plus haut encore qu’Egerton. Je l’ai connu plus pauvre que vous. »

Les anciens domaines des Leslie, une position stable dans le pays, la restauration de sa famille déchue, de l’autre côté un long apprentissage au barreau, une maigre pension qu’il lui faudrait devoir à la générosité d’Egerton ; sa sœur voyant se flétrir sa jeunesse dans cette triste maison ruinée ; Olivier devenant paysan ! ou bien dépendre comme un mendiant de la pitié dédaigneuse d’Harley, d’Harley qui peut-être épouserait Violante ! Randal se sentit pris de rage tandis que ces contrastes se dessinaient dans son imagination. Il allait et venait dans la chambre, s’efforçant de concentrer ses pensées et d’imposer silence à ses passions, pour n’écouter plus que les calculs de son intelligence. « Je ne puis concevoir, dit-il tout