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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/112

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à coup, pourquoi vous me tentez ainsi ; quel intérêt pouvez-vous y avoir ? »

Le baron sourit et ferma son portefeuille. Il comprit qu’il avait vaincu.

« Mon cher garçon, dit-il avec la plus aimable bonhomie, il est très-naturel que vous pensiez qu’un homme doit avoir un intérêt personnel dans tout ce qu’il fait pour un autre. Cette manière d’envisager la nature humaine qu’on appelle, je crois, la philosophie utilitaire, est fort en vogue de nos jours. Je vais essayer de vous expliquer comment, dans cette affaire, je ne me ferai point de tort. Vous me direz peut-être qu’après avoir éteint des dettes qui se montent à vingt mille livres pour dix mille, je pourrais mettre la différence dans ma poche au lieu de la mettre dans la vôtre, cela est vrai. Mais je ne toucherai pas les vingt mille livres, ni je ne payerai pas les dettes de Mme di Negra (quoi que je décide au sujet de celles d’Hazeldean), si le comte n’obtient pas l’héritière. Vous pouvez l’y aider, j’ai besoin de vous et je ne crois pas pouvoir obtenir votre concours avec une offre moindre que celle que je vous fais. Je rentrerai bien vite dans mes dix mille livres si le comte s’empare de la jeune fille et de sa fortune. Bref, je vois dans tout ceci mon intérêt. Vous faut-il d’autres raisons ? En voici. Je suis aujourd’hui fort riche. Comment le suis-je devenu ? En m’attachant tout d’abord aux jeunes gens qui avaient de l’avenir, soit comme fortune, soit comme talent. Je me suis ainsi créé des relations dans le monde, et le monde m’a enrichi. J’ai toujours la passion d’acquérir de l’argent. Que voulez-vous ? c’est ma profession, ma manie. L’amitié d’un jeune homme qui peut-être aura de l’influence sur d’autres jeunes gens, héritiers de domaines plus considérables que Rood-Hall, peut me devenir utile. Vous réussirez probablement dans la politique, et un homme public peut arriver à la connaissance de secrets d’État souvent très-profitables à ceux qui trafiquent un peu à la bourse. Nous pourrons plus tard faire ensemble des affaires qui vous mettront en état de purger toutes les hypothèques de ces domaines, que je vous féliciterai bientôt de posséder. Vous le voyez, je suis franc, c’est la seule manière de s’y prendre avec un garçon aussi intelligent que vous. Et maintenant, puisque moins on remue la vase d’un étang dans lequel on a résolu de boire, mieux vaut, écartons toute autre pensée que celle d’arriver à notre but. Sera-ce vous ou moi qui direz à Peschiera où est la jeune personne ? Il est préférable que ce soit vous, puisqu’il vous a confié ses espérances et vous a demandé de l’aider. Et au fait pourquoi vous y refuseriez-vous ? Ne lui dites pas un mot de notre petit arrangement. Il est inutile qu’il en sache rien. » Lévy sonna et demanda sa voiture.

Randal ne répondit rien. Il était pâle comme la mort, mais sa bouche avait une expression de fermeté sinistre.

« Le second point, reprit Lévy, c’est de hâter le mariage de Frank avec la belle veuve. Où en est cette affaire ?

— La marquise ne veut plus ni me voir, ni le recevoir.