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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/114

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CHAPITRE XXXII.

Lorsqu’un homme d’esprit a une fois résolu de faire une mauvaise action, il s’efforce généralement d’échapper par l’exercice de son habileté au sentiment de sa bassesse. Avec une activité plus grande encore que de coutume, Randal employa les deux heures qui suivirent à s’informer jusqu’à quel point le baron Lévy possédait les qualités dont il se vantait et s’il était vrai qu’il fût esclave de sa parole. Il consulta à ce sujet des jeunes gens qu’il croyait meilleurs juges de ces questions que les Spendquick et les Borrowell, des jeunes gens semblables au gai monarque qui a laissé la réputation de n’avoir jamais ni dit une sottise, ni fait une chose sage.

Il y a à Londres beaucoup de semblables individus, capables et avisés sur toutes choses, à l’exception de leurs propres affaires. Personne ne connaît mieux le monde et ne juge mieux les hommes que ces roués à demi ruinés. Tous s’accordèrent pour rendre au baron le même témoignage ; ils ridiculisaient ses prétentions au dandysme, mais ils le tenaient en affaires pour un homme sûr, et même l’aimaient assez comme une sorte de sir Épicure Mammon, assez accommodant et qui faisait assez libéralement les choses ; « en un mot, dit l’une de ces autorités, c’est certainement un très-brave homme pour un usurier. On peut toujours compter sur ses promesses, et il se montre généralement patient et indulgent envers nous autres jeunes gens du grand monde, peut-être par la même raison que nos tailleurs ; parce que faire mettre un de nous en prison ruinerait sa clientèle. Son faible, c’est de vouloir passer pour un gentleman. Je crois que malgré sa passion pour l’argent, il donnerait la moitié de sa fortune plutôt que de faire quelque chose qui le brouillât avec nous. Il sert une pension de trois cents livres sterling à lord S… Il est vrai qu’il a été l’homme d’affaires de celui-ci pendant vingt ans et qu’auparavant S… était un garçon assez rangé et jouissait d’un revenu de quinze mille livres sterling. Il est venu en aide à plus d’un jeune homme de talent. C’est le meilleur trafiquant d’élections que je connaisse. Il aime à avoir des amis dans le Parlement. Après tout c’est une canaille, bien entendu, mais s’il faut absolument avoir affaire à une canaille, mieux vaut lui que tout autre. Je voudrais le voir représenté au Théâtre-Français : — un Robert-Macaire prospère. — Frédérick-Lemaître le rendrait dans la perfection. »

Après avoir pris ces informations dans les quartiers fashionables avec son tact accoutumé, Randal songea à en puiser d’autres à une source moins élevée, mais à laquelle il attachait plus d’importance. Dick Avenel voyait le baron, donc il était dans ses griffes, et Randal