Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendait justice à l’intelligence pratique de ce personnage. Avenel avait en outre une grande habitude des affaires. Il devait connaître Lévy mieux que ne pouvaient faire ces hommes de plaisir, et comme son langage était simple et franc et qu’il était évidemment honnête selon l’acception commune du mot, Randal ne doutait pas qu’il n’obtînt de lui la vérité.

Lorsque arrivé à Raton-Square il demanda M. Avenel, on le fit entrer dans le salon où mistress Avenel, dans l’attitude d’une femme qui poserait pour son portrait, était assise sur un sofa Renaissance, ayant à ses pieds un de ses enfants qui lisait le nouveau keepsake annuel, relié en soie rouge.

M. Avenel était assis près du feu, d’un air assez maussade, les mains dans ses poches et sifflant pour se désennuyer. À dire vrai, son esprit actif et énergique s’ennuyait fort à Londres, surtout pendant les matinées. Il accueillit l’entrée de Randal avec un sourire de soulagement, puis se levant et se postant devant le feu, un pan de son habit sous chaque bras, il permit à peine au nouveau venu de saluer mistress Avenel et de passer sa main sur la tête de l’enfant en murmurant : « Charmante petite créature ! » (Randal caressait toujours les enfants ; ces sortes de loups vêtus de peaux de brebis n’y manquent pas. Ne vous y laissez pas prendre, pauvres jeunes mères !)

M. Avenel, dis-je, permit à peine à son hôte d’accomplir ces politesses préliminaires avant de se plonger dans les profondeurs de l’océan politique. Les affaires allaient maintenant marcher. Une exécrable oligarchie avait succombé. L’honneur et le talent britanniques allaient avoir le champ libre. À l’entendre, on eût cru au prochain avènement du millénium. « Et qui plus est, disait-il en frappant sa main gauche de son poing droit, s’il y a un nouveau parlement, il faudra des hommes nouveaux ; non pas de vieux balais usés qui ne sont plus bons à rien, mais des hommes qui comprennent les véritables besoins du pays, monsieur. J’ai l’intention de me mettre sur les rangs.

— Oui, fit mistress Avenel parvenant enfin à placer un mot, je suis sûre, monsieur Leslie, que vous m’approuverez, j’ai convaincu M. Avenel qu’avec ses talents et sa fortune, il devait faire un sacrifice à son pays ; et puis, comme vous savez, ses opinions se trouvent justement de mode ; autrefois on les aurait trouvées choquantes et vulgaires. »

En parlant ainsi, mistress Avenel regardait avec complaisance la belle et honnête figure de son mari, en ce moment cependant assombrie et mécontente. Rendons justice à mistress Avenel, elle était faible et sotte, parfois aussi très-rusée, mais au fond bonne épouse, comme le sont généralement les Écossaises.

« Au diable ! s’écria Dick. Vous autres femmes vous n’entendez rien à la politique. Occupez-vous de votre enfant ; le voilà qui chiffonne et qui déchire un livre qui m’a coûté vingt shillings. »

Mistress Avenel baissa la tête avec soumission et retira le keepsake des mains du jeune destructeur, lequel se mit à crier, ainsi que font généralement les destructeurs lorsqu’on s’oppose à leurs desseins.