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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/117

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Dick Avenel, quel n’eût pas été son étonnement ? Dick Avenel attaquer la libre concurrence ! Croire qu’il pouvait y en avoir trop ! « Le ciel et la terre vont s’abîmer et se confondre, » disait l’araignée lorsque le balai de la chambrière eut détruit sa toile. Dick avait toujours été d’avis qu’on balayât les toiles des autres, mais lui aussi crut que le ciel et la terre allaient s’abîmer lorsqu’il vit une formidable tête de loup menacer la sienne.

M. Avenel dans son ardeur de spéculation et de progrès avait établi une manufacture à Screwstown, la première dont la cheminée titanique eût jamais éclipsé le clocher de l’église. Cette manufacture réussit d’abord.

M. Avenel mit dans cette spéculation presque tous ses capitaux ; aucun placement, disait-il, ne donnait un intérêt plus élevé. Manchester commençait à s’user, il était temps de montrer ce que pouvait Screwstown. Rien de tel que la libre concurrence. Mais un peu plus tard un capitaliste plus riche encore que Dick, remarquant que Screwstown était située à l’ouverture d’une mine de charbon et que les gains de Dick étaient considérables, fit bâtir un édifice encore plus laid que le sien, orné d’une cheminée plus haute encore. Et comme il avait été élevé dans une manufacture et résidait à Screwstown, tandis que Dick employait encore un contre-maître et faisait florès à Londres, l’infâme compétiteur s’arrangea de façon à partager d’abord et à accaparer ensuite les profits dont Dick avait eu longtemps le monopole. Rien d’étonnant donc à ce que M. Avenel fût maintenant d’avis que la concurrence devait avoir des bornes. « La langue se porte sur la dent qui fait mal, » aurait dit Riccabocca. Petit à petit notre Talleyrand juvénile (nous demandons pardon à l’aîné) finit par obtenir de Dick la confidence de ce grief, et il comprit qu’il était l’origine des relations de Dick avec l’usurier.

« Mais Lévy, dit naïvement Avenel, est après tout un brave garçon ; il se contente d’un gain décent. Il est utile à mistress Avenel ; il amène à ses soirées quelques jeunes gens du grand monde. À la vérité ils ne dansent pas et se tiennent debout près de la porte, comme des muets à un enterrement ; mais enfin, ils se sont montrés fort civils avec moi dans ces derniers temps, particulièrement Spendquick. À propos, je dîne chez lui demain. L’aristocratie est arriérée, il est vrai, elle n’est pas à la hauteur du siècle, mais ses membres, lorsqu’on sait les prendre, surpassent même les New-Yorkers pour les bonnes manières. Je l’avoue franchement, je n’ai pas de préjugés, moi.

— Je ne connais pas d’homme qui en ait moins. Vous n’avez pas de préjugés, même contre Lévy ?

— Non, pas le moindre. On dit qu’il est juif, lui dit qu’il ne l’est pas ; pour moi, peu m’importe qu’il le soit ou non. Son argent est anglais, cela me suffit. Puis il prête à un intérêt modéré. Il est vrai qu’il sait bien que je le payerai. Seulement ce qui me déplaît chez lui, c’est une certaine façon qu’il a de vous appeler mon cher, mon ami, qui est tout à fait hors de propos dans ces sortes d’affaires. Il sait que je possède une grande influence parlementaire. Je puis faire nommer deux membres à Screwstown, et un, peut-être même deux, à Lans-