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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/122

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écouta ses récits les larmes aux yeux et résolut intérieurement de ne pas seconder Peschiera dans ses projets contre Violante, oubliant pour le moment que sa propre fortune dépendait du succès de ces mêmes projets. Lévy s’était arrangé de façon à ce que ses créanciers ne lui rappelassent pas sa pauvreté. Elle ne savait comment il avait fait, elle était complètement ignorante des affaires ; elle jouissait du charme de l’heure présente et des vagues projets d’avenir auxquels elle associait cette jeune figure, cette figure d’ange gardien qu’elle avait chaque jour devant les yeux, et qui dans l’absence lui paraissait plus belle encore, car en ces moments elle s’abandonnait les yeux fermés à des rêves enchanteurs. La société de Mme di Negra eût été bien dangereuse pour Léonard si son cœur n’eût appartenu tout entier à une autre, mais Béatrix ne devinait pas entre elle et lui cette barrière. Parmi les ombres qu’il évoquait en racontant sa vie passée, elle n’apercevait aucune rivale. Elle le voyait, comme elle, isolé dans le monde. L’obscurité de sa naissance, sa jeunesse, l’absence de présomption qui le caractérisait généralement, tout la portait à croire que, même l’aimât-il, il n’oserait lui en faire l’aveu.

Et ainsi, cédant un jour, comme elle avait coutume de faire, à l’impulsion de son cœur ardent, — elle ne put jamais se rappeler comment ni en quels termes, — elle avoua son amour, elle lui demanda avec larmes et en rougissant le sien en retour. Ce fut pour elle comme un rêve, un rêve dont elle s’éveilla avec un sentiment terrible de douleur, d’humiliation, dont elle s’éveilla repoussée, méprisée. Qu’importent la douceur, la tendresse, la reconnaissance que Léonard mit dans sa réponse, puisque cette réponse était un refus. Elle apprit qu’elle avait une rivale, que le cœur de Léonard appartenait dès longtemps à une autre. Cette ardente nature connut pour la première fois la jalousie avec ses tortures, sa soif de vengeance, ses orages d’amour plein de haine. Mais extérieurement, elle demeura silencieuse et froide comme le marbre ; la tempête intérieure la rendait sourde aux tendres paroles par lesquelles Léonard cherchait à panser sa blessure.

L’orgueil fut le premier sentiment qui la domina. Elle arracha sa main de celle qui la serrait avec un si loyal respect. Elle eût voulu repousser du pied celui qui était agenouillé devant elle, lui demandant son pardon. Elle lui montra la porte d’un geste de reine insultée. Puis, lorsqu’elle fut seule, vinrent ces rapides éclairs de conjecture particuliers aux orages de la jalousie ; cette conjecture si souvent fausse, et cependant acceptée sur-le-champ par notre esprit convaincu, comme la révélation d’une vérité instinctive. Celui devant qui elle s’était abaissée en aimait une autre, et quelle autre sinon Violante ? C’était la seule personne jeune et belle qu’il eût nommée dans le récit de sa vie. Et il avait voulu l’intéresser, elle, Béatrix di Negra, à l’objet de son amour ! Il avait fait allusion à des dangers que Béatrix ne connaissait que trop bien ; il avait exprimé l’espoir que Béatrix les détournerait. Aveugle et insensée qu’elle était ! C’était donc pour cela qu’il était venu chaque jour chez elle ; c’était là le