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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/124

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pourtant elle est disposée à mettre sa rivale entre les mains de Peschiera ; et cependant, telle est l’inconséquence des femmes, ajouta le jeune philosophe en haussant les épaules, qu’elle est en même temps disposée à perdre tout espoir de conquérir celui qu’elle aime en se donnant à un autre.

— Je reconnais bien là les femmes ! dit le baron en frappant sur sa tabatière Louis XV ; mais quel est l’heureux mortel que la belle Béatrix a ainsi distingué ? C’est une superbe créature ! J’avais moi-même songé à elle lorsque j’ai racheté ses dettes, mais cela aurait pu m’embarrasser dans mes plans quant à son frère. Tout est donc pour le mieux. Mais quel est cet homme ? Serait-ce, par hasard, lord L’Estrange ?

— Je ne le crois pas, mais je ne suis cependant pas certain du contraire. Je vous ai dit tout ce que je sais. Je l’ai trouvée si agitée, si hors d’elle-même, que ce n’a pas été sans peine que j’ai obtenu d’elle cette confidence. Je n’ai pu lui en demander davantage.

— Et elle est disposée, dites-vous, à accepter Frank ?

— S’il se fût offert aujourd’hui, elle l’aurait accepté.

— Il peut être fort avantageux pour vous, mon cher, que Frank épouse cette dame sans le consentement de son père. Peut-être celui-ci le déshériterait-il, et vous êtes après lui le plus proche héritier du squire.

— Comment le savez-vous ? dit Randal d’un ton bref.

— Il m’importe de connaître toutes les espérances et les parentés de ceux avec lesquels je fais des affaires. Or je fais des affaires avec le jeune Hazeldean, c’est pourquoi je sais que la propriété n’est pas substituée, et que, comme le beau-frère du squire n’a pas dans les veines une goutte du sang des Hazeldean, vous avez de ce côté de fort belles chances.

— Frank vous a donc dit que j’étais son plus proche parent ?

— Je crois que oui ; mais ce dont je suis sûr, c’est que vous me l’avez dit.

— Moi ? St quand cela ?

— Quand vous m’avez confié qu’il était avantageux pour vous que Frank épousât Mme di Negra. Peste ! mon cher ! me prenez-vous pour un imbécile ?

— Eh bien, baron, Frank est majeur et a droit d’épouser qui il lui plaît. Vous m’avez donné à entendre que vous pouviez me venir en aide de ce côté.

— J’essayerai. Faites qu’il se trouve chez Mme di Negra demain à deux heures précises.

— Je préférerais paraître étranger à toute intervention sur ce sujet. Ne pouvez-vous vous arranger de façon à ce qu’il aille chez elle à cette heure ?… Et surtout n’oubliez pas de l’amener à signer le post-obit.

— Comptez sur moi… Vous offrirai-je du vin ? Non ? Eh bien, alors, allons chez le comte. »