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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/125

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CHAPITRE XXXVIII.

Le lendemain, vers midi, Frank Hazeldean était assis devant son déjeuner solitaire. Le jeune homme, à la vérité, s’était levé matin pour vaquer à ses devoirs militaires ; mais il avait contracté l’habitude de déjeuner tard. L’appétit ne s’ouvre pas de bonne heure lorsqu’on vit à Londres et qu’on ne se couche jamais avant l’aurore.

Il n’y avait rien de luxueux ni d’efféminé dans l’appartement de Frank, mais il était situé dans un quartier à la mode et le loyer en était exorbitant. L’œil d’un connaisseur eût bien vite reconnu que celui qui l’habitait était de ces hommes qui s’arrangent de façon à dépenser beaucoup d’argent sans réussir à s’en faire honneur. Les murs étaient couverts de gravures coloriées représentant des chevaux de course et des steeples-chases entremêlés de portraits de danseuses de l’Opéra, souriant, folâtrant, faisant des gambades et des entrechats. Puis il y avait un enfoncement demi-circulaire tendu de drap rouge et destiné à fumer, comme on pouvait s’en apercevoir par divers meubles couverts de pipes turques à becs d’ambre, en bois de jasmin et de merisier, tandis qu’un grand hookah, avec lequel il eût été à peu près aussi facile à Frank de fumer qu’avec la tête d’un serpent boa, s’arrondissait sur le plancher ; au-dessus de la cheminée était une collection d’armes mauresques. De quoi pouvaient servir à un officier des gardes ces yatagans, ces cimeterres et ces pistolets damasquinés qui ne portaient pas à trois pas, c’est plus que je ne saurais dire et que Frank lui-même n’eût pu expliquer. Je soupçonne que ce précieux arsenal avait dû passer en sa possession par suite d’un billet escompté. En ce cas, c’était certainement un progrès sur l’ours qu’il avait vendu à son coiffeur. On ne voyait nulle part de livres, si ce n’est un guide de la cour, un calendrier des courses, une liste de l’armée, un magasin du Sport, complet, relié en maroquin, au prix modeste d’une guinée le volume ; et sur la cheminée, à côté du porte-cigares, un petit livre pas plus gros qu’un Elzevir : ce livre avait coûté à Frank plus que tout le reste de son ameublement ; c’était son propre livre, son livre par excellence, un livre qu’il avait lui-même composé, son Livre de paris !

Sur un guéridon placé au milieu de la chambre étaient déposés le chapeau de Frank, une boîte doublée de satin, contenant des gants de peau de nuances délicates et variées, depuis le primevère jusqu’au lilas ; un plateau rempli de cartes et de billets à trois cornes ; une lorgnette et une carte d’abonnement à l’Opéra.

Dans un coin se trouvait un ingénieux réceptacle contenant un assortiment de cannes, de bâtons, de fouets ; et montant la garde