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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/126

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près de ce réceptacle, était une paire de bottes aussi brillantes que celles du baron Lévy, ce qui était le nec plus ultra du brillant. Frank était en robe de chambre, une robe de chambre de très-bon goût, tout à fait orientale, garantie véritable cachemire de l’Inde et payée comme telle.

Rien de plus galant que son service de déjeuner, bien qu’il fût fort simple : une théière, un pot au lait, un bassin en argent, le tout entrant dans sa toilette de voyage. Frank était fort beau, mais il paraissait quelque peu fatigué et extrêmement ennuyé. Il avait essayé de lire le Morning-Post, mais l’effort lui avait paru trop pénible.

Infortuné Frank Hazeldean ! Véritable type de tant de pauvres diables qui ont fini à l’hôpital. Et si encore, dans cette course vers la ruine, il y avait eu la moindre chose qui pût faire honneur au voyageur. On éprouve quelque respect pour la ruine d’un homme tel qu’Audley Egerton. Il s’est ruiné en roi. Du haut des débris de sa fortune, il aperçoit de majestueux monuments bâtis avec les pierres de cet édifice démantelé. Chacune des institutions qui honorent l’Angleterre conserve des témoignages de la munificence de l’homme public. Dans les mouvements des partis, pour lesquels le nerf proverbial de la guerre est avant tout nécessaire, dans ces récompenses que peut conférer la libéralité privée, la main d’Egerton s’était ouverte avec une générosité toute royale. Plus d’un membre du Parlement, à cette époque où le rang et la fortune venaient en aide au talent, était redevable de sa carrière politique au siège qu’une large souscription d’Egerton lui avait assuré ; plus d’un obscur champion du gouvernement, dans les lettres ou dans la presse, avait dû à la gratitude de son patron d’être délivré d’un humiliant servage. La ville que représentait le ministre avait été embellie à ses frais ; son or avait coulé comme le Pactole dans le comté où étaient situées les terres hypothéquées qu’il avait bien rarement visitées. Tout ce qui pouvait y animer l’esprit public ou y contribuer aux progrès, à la civilisation, avait fait appel à sa munificence, et l’appel avait toujours été entendu. Son vaste hôtel même, si magnifique et si hospitalier, était digne d’un représentant de cette honorable partie de notre véritable noblesse, les gentilshommes non titrés. L’homme d’État s’était véritablement fait honneur de l’argent qu’il avait dédaigné et prodigué. Mais que resterait-il de la fortune que dissipait Frank Hazeldean ? De mauvaises gravures accrochées dans un logement de garçon ; une collection de cannes et de bâtons de merisier ; une demi-douzaine de lettres écrites en mauvais français par des figurantes ; quelques chevaux à longues jambes, qui n’étaient bons qu’à être battus dans une course ; ce maudit Livre de paris, et puis, — sic transit gloria mundi, — un vautour comme Lévy viendrait s’abattre sur lui, et il ne resterait pas seulement une plume du pauvre pigeon !

Et cependant il y a de l’étoffe chez ce pauvre Frank ; il a un bon cœur et un vif sentiment d’honneur. Si insensé qu’il paraisse, il y a du bon sens réel dans quelque coin de sa tête, le difficile est d’y