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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/130

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l’inventaire avec l’aide d’un domestique de Mme di Negra. L’étranger regarda Frank d’un air étonné et porta la main à son chapeau. Le domestique, qui était Italien, s’approcha de Frank et lui dit en mauvais anglais que la maîtresse ne recevait pas, qu’elle était indisposée et gardait sa chambre. Frank jeta un louis au domestique et le pria de dire à Mme di Negra que M. Hazeldean sollicitait l’honneur d’une entrevue. Dés que le domestique eut quitté le salon, Frank saisit l’homme au manuscrit par le bras et lui dit :

« Qu’y a-t-il ? Que faites-vous ? S’agit-il donc d’une saisie ?

— Oui, monsieur.

— Pour quelle somme ?

— Quinze cent quarante-sept livres sterling : nous sommes les premiers en date.

— Il y en a donc d’autres alors ?

— Oui, monsieur, sans quoi nous n’en serions pas venus là, ce qui nous est extrêmement pénible, je vous prie de le croire ; mais ces étrangers sont aujourd’hui ici et demain ailleurs. Et… »

Le domestique rentra. Mme di Negra consentait à recevoir M. Hazeldean : elle le priait de monter. Frank se rendit en toute hâte à cet appel.

Mme di Negra était dans une petite pièce disposée en boudoir. Ses yeux portaient la trace de larmes récentes, mais son visage était calme, rigide même dans son expression triste et hautaine. Frank ne s’arrêta pas à examiner sa physionomie, ni à répondre à son salut cérémonieux ; toute sa timidité avait disparu. Il ne voyait plus que la femme qu’il aimait, plongée dans la douleur et l’humiliation.

Lorsque la porte se referma sur lui, il se jeta aux pieds de la marquise, et prit sa main dans les siennes.

« Ô madame !… Béatrix ! s écria-t-il les larmes aux yeux, la voix brisée d’émotion, pardonnez-moi, pardonnez-moi ; cessez de voir en moi une simple connaissance. J’ai appris par hasard ou plutôt j’ai deviné l’insulte à laquelle vous êtes exposée. Me voici. Regardez-moi comme un ami, comme votre meilleur ami, ô Béatrix ! » et il se pencha sur la main qu’il tenait ; « je n’avais pas osé vous le dire, je craignais de vous paraître présomptueux, mais je ne puis plus me contenir ; je vous aime, je vous aime de toute mon âme ; permettez-moi du moins de vous servir, rien que de vous servir ! je ne demande pas autre chose. » Et un sanglot s’échappa de son cœur jeune et ardent.

L’Italienne fut vivement émue. Sa nature n’était pas celle d’une sordide aventurière. Elle ne voulait ni tromper tant d’amour, ni abuser de tant de confiance.

« Relevez-vous, relevez-vous, dit-elle doucement ; je vous suis reconnaissante. Mais ne croyez pas que je…

— Chut ! chut ! vous ne pouvez me refuser. Imposez un instant silence à votre orgueil.

— Non ; ce n’est pas de l’orgueil. Vous vous exagérez ce qui se passe ici. Rappelez-vous que j’ai un frère. Je l’ai envoyé chercher ; lui seul peut me secourir. Écoutez ! le voici qui frappe. Mais je n’oublie-