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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/131

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rai jamais que, dans ce triste monde, j’ai du moins trouvé un cœur noble et généreux. »

Frank allait répondre, mais il entendit la voix du comte dans l’escalier, et n’eut que le temps de se lever et de se retirer dans l’embrasure de la fenêtre, s’efforçant de calmer son agitation et de composer son visage.

Le comte de Peschiera entra, véritable personnification de la beauté et de la magnificence de l’homme riche, égoïste, prodigue, luxueux. Son surtout, garni des fourrures les plus coûteuses, était ouvert sur sa poitrine. Parmi les plis du satin qui entourait son cou brillait une turquoise de telle valeur, qu’un joaillier eût pu la garder cinquante ans sans rencontrer une pratique assez riche ou assez frivole pour l’acheter. Jusqu’à la pomme de sa canne était un chef-d’œuvre artistique, et l’homme lui-même était si élégant malgré sa force, et si frais en dépit de ses années ! Les hommes qui ne pensent qu’à eux se conservent merveilleusement.

« Brrr ! fit le comte sans apercevoir Frank à demi caché par le rideau. Brrr ! vous avez dû passer un mauvais quart d’heure. Et maintenant, que faire ? Dieu me damne si j’en sais quelque chose ! »

Béatrix montra du doigt la fenêtre ; elle eût voulu rentrer sous terre, tant elle était honteuse. Mais comme le comte avait parlé en français, et que cette langue n’était pas familière à Frank, celui-ci ne comprit point les paroles ; il fut seulement choqué de la légèreté du ton.

Frank s’avança. Le comte lui tendit la main, et changeant complètement d’accent et de manière, lui dit :

« Celui que ma sœur a pu admettre dans un pareil moment, doit être pour moi un ami.

— Monsieur Hazeldean, dit Béatrix, m’a en effet noblement offert un secours dont je n’ai plus besoin, mon frère, puisque vous voici.

— Certainement, fit le comte d’un air de grand seigneur. Je vais descendre et chasser de chez vous cette canaille. Mais je croyais que vos affaires étaient entre les mains du baron Lévy. Il devrait être ici.

— Je l’attends à chaque moment. Adieu, monsieur Hazeldean. »

Et Béatrix tendit la main à son jeune amant avec une franchise qui n’était pas exempte d’une certaine dignité pathétique et cordiale. Contraint par la présence du comte, Frank s’inclina en silence sur la belle main qu’il serrait dans la sienne et se retira. À peine était-il dans l’escalier, que le comte vint le retrouver.

« Monsieur Hazeldean, lui dit-il à voix basse, voulez-vous entrer dans le salon ? »

Frank obéit. L’homme chargé de faire l’inventaire du mobilier était encore à sa besogne ; mais, sur un mot que lui dit tout bas le comte, il disparut.

« Mon cher monsieur, dit alors Peschiera à Frank, je suis si ignorant de vos lois anglaises et de votre manière de mettre ordre à des affaires de cette nature ; et vous avez montré une sympathie si évi-