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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/136

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heures s’écoulèrent rapides et brillantes comme l’éclair. Et quels rêves enchantés vinrent animer son sommeil ! Mais lorsque le lendemain matin il s’éveilla, il ne put s’empêcher de se demander : « Que vont-ils dire au manoir ? »


CHAPITRE XL.

La gloire de Bond-Street est éteinte ; l’appellation de flâneur de Bond-Street a disparu de notre vocabulaire. En vain s’y pressent les équipages et y brillent les boutiques ; ce qui faisait la renommée de Bond-Street, c’étaient avant tout les piétons.

Es-tu d’âge, ô lecteur, à te rappeler le flâneur de Bond-Street et la génération incomparable à laquelle il appartenait ? Pour moi, j’ai assisté au déclin de cette grande époque. Elle touchait à sa fin lorsque, avec l’ambition de l’adolescence, je commençai à envier ses hautes cravates et ses bottes à la Wellington ; mais les anciens habitués, les magni nominis umbræ, contemporains de Brummel à son zénith, compagnons de Georges IV pendant sa régence, fréquentaient encore la célèbre rue. De quatre à six pendant les chaleurs de juin, on les voyait battre majestueusement le pavé, d’un air un peu triste qui présageait l’extinction de leur race. Le flâneur de Bond-Street était rarement seul, c’était un animal sociable qui donnait généralement le bras à un de ses semblables. Il ne semblait pas né pour les soucis de ce temps orageux, ni pour une époque à laquelle Finsbury nomme des membres au Parlement. Il aimait la conversation légère, et jamais depuis lui personne ne l’a maniée avec autant de grâce. Le véritable flâneur de Bond-Street avait, il est vrai, l’air un peu dissipé. Sa jeunesse s’était écoulée parmi des héros amis de la bouteille ; lui-même peut-être avait jadis trinqué avec Shéridan. Il était naturellement prodigue, et cela se voyait rien qu’à sa démarche. Les gens qui gagnent de l’argent flânent rarement ; ceux qui en amassent ne prennent jamais l’air rodomont. Puis il se montrait si familier avec ceux de sa coterie, et si plaisamment arrogant avec le reste des vulgaires mortels dont le visage était inconnu dans Bond-Street ! Mais hélas ! il n’est plus. Le monde, bien qu’attristé de sa perte, s’efforce de marcher sans lui, et nos jeunes gens d’aujourd’hui s’occupent de fermes-modèles, et lisent avec ardeur les Traités pour les temps présents. Cependant, aux yeux d’un spectateur irréfléchi, Bond-Street est encore brillante et affairée, mais c’est un passage, une rue, ce n’est plus une promenade. Dans ce passage se voyaient, avant l’heure où la foule était le plus compacte, deux messieurs dont l’extérieur était en complet désaccord avec le lieu. Tous deux avaient cependant l’air d’hommes pouvant prétendre à l’aristocratie ; un air d’ancien temps,