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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/137

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de respectabilité, l’air de propriétaires, fermes soutiens de l’Église et de l’État. Le plus gros des deux était même dans son genre une sorte de beau. Il avait dû apprendre à s’habiller alors que Bond-Street était à son apogée et Brummel dans toute sa gloire. Il avait conservé les modes de sa jeunesse ; seulement ce qui jadis montrait qu’il habitait Londres, indiquait aujourd’hui qu’il vivait à la campagne. Sa cravate ample, élevée et d’un blanc de neige, encadrait avantageusement un visage soigneusement rasé, et d’un teint clair et vermeil. Son habit bleu de roi, orné de boutons dans lesquels on eût pu se mirer veluti in speculum, était boutonné sur une taille qui accusait une vigoureuse maturité exempte de l’ambition, de la cupidité, et des soucis qui maigrissent les Londoniens. Son pantalon brun, large à l’endroit des hanches et serré à partir du genou, était l’œuvre du tailleur même de Brummel, et ses guêtres de même couleur avaient une mâle élégance qui eût fait honneur à un député modèle. On ne pouvait se méprendre sur la profession du compagnon de ce gentleman : le tricorne, l’habit d’une coupe toute cléricale, la cravate sans col, et je ne sais quoi de décent et de doux dans toute la personne, indiquaient clairement l’ecclésiastique.

« Non, fit le premier personnage, non je ne puis dire que l’air de Frank me plaise. Il a certainement quelque chose qui lui pèse, qui le tourmente. J’espère qu’il s’expliquera ce soir.

— Il dîne sans doute avec vous à votre hôtel, squire ? Montrez-lui de l’indulgence, nous ne pouvons exiger qu’il ait une tête grise sur de jeunes épaules.

— Je ne me plains pas de ce que sa tête soit jeune, mais je voudrais qu’il y eût dedans un peu du bon sens de Randal. Je vois où il en faudra venir. Je le remmènerai à la campagne, et s’il a besoin d’occupation, eh bien, il chassera et je lui donnerai la ferme de Brosksby.

— Vous parlez de chasse, mais prenez-y garde, les chiens entraînent les chevaux, et je crois que ceux-ci sont pour les jeunes gens une grande cause de ruine et de perdition. On devrait les dénoncer en chaire ces écuries ! ajouta M. Dale ; voyez à quoi elles ont amené Nemrod ! Mais l’agriculture est une occupation noble et salutaire, honorée des nations les plus éclairées et chère aux grands hommes de l’antiquité. Voyez les Athéniens.

— Au diable soient vos Athéniens ! s’écria irrévérencieusement le squire, vous n’avez pas besoin d’aller chercher si loin vos exemples. Il suffit pour un Hazeldean que son père, son grand-père et son bisaïeul avant lui aient tous cultivé leurs terres ; ils valaient mieux, je crois, que vos vieux Athéniens, soit dit sans les offenser. Mais tenez, curé, si vous voulez qu’un homme aime la culture et se plaise à la campagne, qu’il prenne femme, et la bataille à moitié est gagnée.

— Quant à la bataille, un homme qui est marié est toujours sûr d’en avoir plus de la moitié d’une, bien qu’il ne le soit pas de la gagner, répondit le curé qui semblait ce jour-là d’humeur singulièrement facétieuse. Ah, squire ! je voudrais que mistress Hazeldean eût