Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le squire. Le monsieur noir ! Quoi, en plein jour ! Quelle absurdité ! »

Ici le curé s’élança en avant, et prenant le bras du personnage en question, qui lui-même s’était arrêté, il s’écria :

« Pardonnez-moi, monsieur, mais ne vous nommez-vous pas Fairfield ? Oh ! c’est Léonard ; c’est mon cher enfant, quel bonheur ! Bien changé, bien embelli, mais c’est toujours sa même honnête figure. Squire, arrivez donc, c’est votre ancien ami Léonard Fairfield.

— Et il voulait me persuader, dit le squire en serrant cordialement la main de Léonard, que vous étiez le gentleman noir, il est vrai qu’il a été d’une étrange humeur toute la matinée. Eh, eh, eh, maître Lenny ! mais vous voilà devenu un véritable gentleman. Vous avez donc prospéré ? Vous êtes jardinier en chef chez quelque grand personnage, à ce que je suppose ?

— Non, monsieur, fit Léonard en souriant ; j’ai en effet fini par prospérer, bien que les commencements aient été un peu rudes. Ah, monsieur Dale ! vous ne sauriez croire combien j’ai souvent pensé à vous et à votre discours sur la science, et qui plus est, combien j’ai éprouvé la vérité de vos paroles et j’ai béni vos leçons.

Le curé (très-touché et extrêmement flatté). Je n’attendais pas moins de vous, cher Léonard ; vous avez toujours été un garçon plein de sens et de jugement. Ainsi donc, vous vous êtes souvenu de mon petit discours sur la science ? »

Léonard serra la main à M. Dale en lui demandant la permission de l’aller voir. Il allait se retirer lorsque le curé lui dit en le retenant doucement : « Non, non, ne me quittez pas encore, Léonard, j’ai tant de choses à vous dire, à vous demander. Je serai libre dans un instant. Nous allons chez un parent du squire que vous devez vous rappeler, le capitaine Higginbotham, Barnabé Higginbotham. Il est très-souffrant.

— Et je suis sûr qu’il serait reconnaissant de votre visite, dit le squire avec bonté.

Léonard. Ne serait-ce pas une indiscrétion ?

Le squire. Une indiscrétion ! Venir demander à un pauvre malade comment il va ! Et à propos, Léonard, vous qui habitez Londres, vous pourriez nous dire si cette nouvelle méthode de traiter les malades est autre chose qu’un pur charlatanisme.

Léonard. Quelle nouvelle méthode, monsieur ? Il y en a tant.

Le squire. Ah bah ! Il est vrai que les gens de Londres ont tous l’air malade. Mais mon pauvre cousin, qui n’a jamais été un Salomon, est entre les mains d’un homé…, homo… Comment dites-vous ça, curé ?

Le curé. Un homœopathe.

Le squire. C’est cela. Voyez-vous, le capitaine est allé vivre avec un nommé Sharp Currie, un de ses parents, qui avait beaucoup d’argent et très-peu de foie : il avait gagné l’un et laissé une grande partie de l’autre, dans les Indes, vous comprenez. Le capitaine avait donc des espérances. C’était très-naturel, sans doute ; mais que pen-