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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/141

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mon garçon, dit le squire avec bonté. Vous avez été bien fou de les quitter ainsi que votre confortable appartement dans l’Albany.

— Il est en effet confortable bien que peu luxueux, dit le capitaine les larmes aux yeux ; j’avais fait de mon mieux pour le rendre tel ; des tapis neufs, ce fauteuil de maroquin, ce chat de porcelaine du Japon qui tient les rôtis au feu, et cela justement au moment… (ici le capitaine ne put retenir ses larmes) justement au moment où ce misérable m’a écrit « qu’il allait mourir et qu’il était seul au monde. » Quand on pense à ce que j’ai souffert pour lui… et,… et qu’il me traite ainsi. Cousin William, il est maintenant aussi robuste que vous, et… et…

— Allons, allons, consolez-vous, dit le compatissant squire. La chose est dure, j’en conviens. Mais voyez-vous, comme dit le proverbe : « Il ne faut jamais compter sur les souliers d’un mort, » et à l’avenir, soit dit sans vous offenser, je crois que si vous escomptez moins les foies de vos parents, le vôtre ne s’en trouvera que mieux.

— Cousin William, reprit le pauvre capitaine, je n’ai rien escompté, je vous assure. Mais si vous aviez vu la face jaune de cet hypocrite, jaune comme une guinée, et que vous eussiez enduré tout ce que j’ai enduré, vous seriez comme moi blessé au vif, je vous assure. Je ne puis tolérer l’ingratitude, je ne l’ai jamais pu. Mais n’importe. Monsieur veut-il bien prendre un siège ?

Le curé. M. Fairfield a eu la bonté de venir avec nous parce qu’il connaît un peu ce système homœopathique que vous avez adopté, et qu’il croit connaître aussi votre médecin. Comment le nommez-vous ?

Le capitaine (regardant à sa montre). Cela me fait penser… (avalant un globule) : c’est un grand soulagement de ne plus prendre que ces petites pilules en comparaison des drogues que j’ai avalées pour faire plaisir à ce méchant homme. Il essayait toujours sur moi les remèdes que lui prescrivait son docteur. Mais il y a un autre monde et Dieu sera juste. »

Sur cette pieuse conclusion, le capitaine recommença à pleurer.

« Toqué ! dit le squire à voix basse en mettant le doigt sur son front. Vous me paraissez avoir là une bonne garde, propre et soigneuse, cousin Higginbotham ; j’espère qu’elle est gaie et ne vous permet pas de trop vous désoler ?

— Oh ! ne me parlez pas d’elle. C’est un cœur purement mercenaire. Le croiriez-vous ? Je lui donne dix shillings par semaine outre les restes de mon dîner, et j’ai entendu la coquine dire l’autre jour à la blanchisseuse que je ne pouvais durer bien longtemps et qu’elle avait des espérances ! Ah, monsieur Dale ! que ce monde est donc corrompu ! Mais je n’y veux plus penser ! Non, changeons de sujet. Vous me demandiez le nom de mon médecin ? »

Ici la femme aux espérances ouvrit la porte toute grande et annonça le docteur Morgan.