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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/143

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serait fidèle aux intérêts territoriaux et je n’ai de ma vie fait un plus gros mensonge. »

Ici le patient, songeant à ses autres visiteurs et redoutant l’ennui d’entendre le squire énumérer ses griefs, et peut-être raconter l’histoire de son duel avec le capitaine Dashmore, fit un mouvement et dit : « Voici, docteur, un autre de mes amis, le révérend M. Dale puis un monsieur qui entend l’homœopathie.

— Dale ! Quoi ! Encore un ancien ami ! » s’écria le docteur en se levant, et le curé quitta non sans quelque répugnance l’embrasure de fenêtre où il s’était retiré pour venir serrer la main à l’homœopathe.

« Nous avons fait connaissance dans une bien triste occasion, » dit le docteur.

Le curé mit un doigt sur ses lèvres en jetant un coup d’œil du côté de Léonard. Le docteur regarda le jeune homme, mais il ne reconnut en lui le jeune garçon hâve et défait qu’il avait jadis placé chez M. Pocket, que lorsque Léonard sourit et parla. Son sourire et sa voix étaient restés les mêmes.

« Sur mon honneur ! c’est l’enfant lui-même ! » s’écria le docteur Morgan ; et prenant Léonard dans ses bras, il le serra sur sa poitrine. L’agitation que lui causèrent ces surprises successives devint si vive que le bon docteur s’arrêta court, tira un globule d’une petite bouteille en disant : « Aconit excellent contre les chocs nerveux ; » et l’avala incontinent.

« Par Jupiter ! fit le squire avec quelque étonnement ; c’est le premier docteur que j’aie vu prendre de ses propres drogues. Il faut qu’il y ait quelque chose là-dedans. »

Le capitaine, furieux de l’attention que le docteur accordait à des choses tout étrangères à sa maladie, demanda d’une voix dolente :

« Et le régime ? Qu’aurai-je pour dîner ?

— Un ami, dit le docteur en s’essuyant les yeux.

— Comment ? fit le squire en se reculant ; entendez-vous dire que les lois anglaises (encore qu’on y ait fait beaucoup de changements) vous permettent d’ordonner à vos patients de se nourrir de leurs semblables ?

— Monsieur, reprit gravement le docteur Morgan, je veux dire que ce qu’on mange est de peu d’importance, comparé à la société dans laquelle on mange. Mieux vaut faire un petit excès en compagnie d’un ami, que d’observer strictement son régime en mangeant seul. Le rire et la conversation facilitent la digestion et sont d’un grand secours dans les affections du foie. Je ne doute pas, monsieur, que l’agréable société de mon client n’ait beaucoup contribué à rétablir la santé de son parent dyspeptique, M. Sharp Currie. »

Le capitaine fit entendre un sourd gémissement.

« Et c’est pourquoi, messieurs, continua le docteur, si l’un de vous veut rester à dîner avec M. Higginbotham, cela aidera beaucoup à l’effet des médicaments. »

Le capitaine tourna un regard suppliant, d’abord vers son cousin, ensuite vers le curé.