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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/144

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« Je regrette de vous refuser, dit le squire, mais cela m’est impossible, j’ai promis à mon fils de dîner avec lui. Mais voici Dale qui…

— Ce serait bien aimable, fit le capitaine, nous pourrions égayer la soirée en faisant un whist avec deux morts. »

Or, le pauvre M. Dale s’était fait un plaisir de l’idée de dîner avec un vieil ami de collège, et de faire, au lieu de l’insipide whist à deux morts, un whist complet et orthodoxe, avec l’agréable perspective de gronder son partner et peut-être aussi les deux autres joueurs. Mais comme la vie tranquille et uniforme qu’il menait lui interdisait d’être un héros dans les grandes choses, le curé avait résolu d’en être un dans les petites, il accepta donc l’invitation du capitaine et promit de revenir à six heures. Il lui fallait, en attendant, courir à l’autre bout de Londres pour s’excuser auprès de l’ami qui comptait sur lui. Il donna sa carte à Léonard, avec l’adresse de son hôtel, et paraissant beaucoup moins charmé du docteur Morgan qu’avant la malencontreuse prescription de celui-ci, il prit congé de ses amis. Le squire, qui devait visiter une laiterie modèle, et était chargé de plusieurs commissions pour son Harry, s’en alla de son côté (non pas toutefois avant que le docteur Morgan ne lui eût assuré que d’ici à quelques semaines le capitaine serait en état de se rendre à Hazeldean). Léonard se préparait à le suivre, lorsque Morgan, passant son bras sous celui de son ancien protégé, lui dit :

« Il faut absolument que nous causions un peu, et que vous me donniez des nouvelles de la petite orpheline. »

Léonard ne put résister au plaisir de parler d’Hélène, et il monta dans la voiture qui attendait l’homœopathe à la porte.

« Je vais à quelques milles de Londres, voir un malade, nous aurons donc tout le temps de causer tranquillement. Je me suis bien souvent demandé ce que vous étiez devenu. N’entendant plus parler de Pricket, je lui écrivis, et je reçus de son héritier une réponse des plus laconiques. Pauvre garçon ! j’appris qu’il avait négligé les globules et par suite quitté le globe. Hélas ! pulvis et umbræ sumus ! Je n’eus donc aucune nouvelle de vous. Le successeur de Pricket déclarait ne point vous connaître. J’espérai que tout allait pour le mieux ; car j’avais toujours pensé que vous étiez de ceux qui retombent sur leurs pattes…, tempérament nervo-bilieux ; les hommes ainsi doués réussissent généralement, surtout s’ils ont soin de prendre une cuillerée de chamomilla, lorsqu’ils sont surexcités. Maintenant contez-moi votre histoire et celle de la petite fille… ; charmante petite créature… ; je n’ai jamais vu de constitution plus impressionnable, ni qui eût plus besoin de la pulsatilla. »

Léonard raconta brièvement ses luttes et ses succès, puis il apprit au bon docteur comment ils avaient enfin découvert le gentilhomme auquel s’était confié le capitaine Digby, et dont la bonté envers les orphelins avait bien justifié cette confiance.

Le docteur Morgan ouvrit de grands yeux en entendant nommer lord L’Estrange.