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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/145

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« Je me rappelle parfaitement l’avoir vu, lorsqu’en qualité d’allopathe, je pratiquais le meurtre à Lansmere. Mais je n’eusse pas cru qu’un garçon si fantasque, si original, si plein de vie et d’entrain, serait devenu assez grave pour servir de tuteur à cette chère petite fille, avec ses yeux timides et sa sensibilité de pulsatilla. Enfin, tout est miracle en ce monde. Et il s’est montré votre ami, dites-vous ? À la vérité il a connu votre famille.

— C’est ce qu’il dit. Croyez-vous, monsieur, qu’il ait connu, qu’il ait jamais vu ma mère ?

— Eh ! votre mère ?… Nora ? » s’écria vivement le docteur ; et comme frappé d’une pensée subite, il fronça le sourcil et demeura quelque temps pensif et silencieux ; puis remarquant que les yeux de Léonard étaient avidement fixés sur toi, il répondit à sa question : « Certainement il l’a vue ; elle a été élevée chez lady Lansmere. Ne vous l’a-t-il pas dit ?

— Non. » Ici un vague soupçon traversa l’esprit de Léonard, mais s’y évanouit presque aussitôt. Son père ! Impossible. Son père avait dû volontairement laisser calomnier sa mère morte, et Harley était incapable d’une pareille conduite. Puis, s’il eût été le fils d’Harley, celui-ci ne l’eût-il pas deviné ? Ne l’aurait-il pas avoué et réclamé ? En outre, lord L’Estrange avait l’air si jeune ; il n’était sans doute pas d’âge à être le père de Léonard. Non, cette idée ne supportait pas l’examen.

« Vous m’avez dit, reprit Léonard avec émotion, que vous ne connaissiez pas le nom de mon père ?

— Et je vous ai dit la vérité.

— Vous m’en donnez votre parole ?

— Ma parole d’honneur. »

Il y eut un long silence. La voiture avait quitté Londres, elle roulait sur une grande route, un peu plus solitaire et moins bordée de maisons que la plupart de celles qui conduisent à l’immense Cité. Léonard regardait par la portière, et peu à peu les objets qui s’offraient à sa vue semblaient faire appel à sa mémoire. Oui ! C’était bien par cette route qu’il était arrivé à la métropole, la main dans celle d’Hélène, et le cœur plein d’espoir. Il soupira profondément. Il se disait que volontiers il sacrifierait ce qu’il avait conquis depuis lors, l’indépendance, la célébrité, tout enfin, pour tenir encore cette petite main dans la sienne, pour être encore le seul protecteur de la douce orpheline.

La voix du docteur interrompit sa rêverie.

« Je vais voir, dit celui-ci, un malade très-intéressant…, l’enveloppe de son estomac est tout à fait usée. C’est un homme d’un grand savoir qui a le cervelet très-enflammé. Je ne puis lui faire grand bien et il me fait beaucoup de mal.

— Comment cela ? demanda Léonard faisant un effort pour dire quelque chose.

— Oui, il me touche le cœur et me met les larmes aux yeux, c’est un cas des plus pathétiques : un être grandiose qui a gaspillé