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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/146

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ses forces. Je l’ai trouvé abandonné par les allopathes et en proie au delirium tremens. Je l’ai remis sur pied pour quelque temps et je me suis pris d’affection pour lui — je n’ai pu m’en empêcher — j’ai avalé un grand nombre de globules pour m’endurcir contre lui — je n’ai pas réussi. Je l’ai ramené en Angleterre avec d’autres malades qui tous (à l’exception pourtant du capitaine Higginbotham) me payent régulièrement. Quant à celui-ci, il ne me paye pas et me coûte fort cher, tant en barrière, qu’en logement et en nourriture. Mais grâce au ciel, sans parler de mon temps, je suis garçon et je puis y suffire. Mon ami, j’abandonnerais tous mes autres malades aux allopathes à la condition de pouvoir sauver ce pauvre génie ruiné. Mais que faire avec un estomac qui n’a plus d’enveloppe ? Arrêtons-nous, dit le docteur tirant le cordon. Je descends à cette barrière et je traverse les champs à pied. »

Cette barrière, ces champs, avec quelle précision Léonard se les rappelait ! Hélas ! où était son Hélène ? Redeviendrait-elle jamais son ange gardien ?

« Je vais aller avec vous si vous le permettez, dit-il au docteur, et pendant que vous ferez votre visite, je me promènerai le long d’un petit ruisseau qui, à ce que je crois, coule de ce côté.

— La Brent. Vous la connaissez ? Ah ! je voudrais que vous entendissiez mon pauvre malade en parler, ainsi que des longues heures qu’il a passées à y pêcher. Vous ne sauriez si vous devez rire ou pleurer. Le premier jour de son arrivée id, il voulait sortir pour aller poursuivre encore une fois, disait-il, son démon tentateur, une perche avec un seul œil.

— Ciel ! s’écria Léonard, parleriez-vous de John Burley ?

— Certainement, il se nomme en effet John Burley.

— En est-il réduit là ? Oh ! guérissez-le, sauvez-le, si c’est humainement possible. Je l’ai vainement cherché partout, dès que j’ai eu quelque argent et un asile à lui offrir. Pauvre, glorieux Burley ! Menez-moi vers lui. Ne dites-vous pas qu’il n’y a plus d’espoir ?

— Je n’ai pas dit cela, mais l’art ne peut qu’aider la nature, et bien que la nature travaille sans cesse à réparer le mal que nous lui faisons, cependant, lorsque les parois d’un estomac sont parties, la nature est alors fort embarrassée et moi de même. Vous me conterez une autre fois comment vous avez connu Burley, car nous voici près de sa maison, et je l’aperçois qui m’attend à la fenêtre. »

Le docteur ouvrit la porte du tranquille cottage où s’était jadis réfugié le pauvre Burley, chassé par la présence de l’ange gardien de Léonard.

Et Léonard, le cœur ému, le suivit tristement pour contempler le naufrage de celui dont l’esprit avait naguère animé l’orgie et mis la table en joie. Hélas ! pauvre Yorick !