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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/147

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CHAPITRE XLIII.

Audley Egerton est debout devant son foyer solitaire. Pendant le court intervalle qui s’est écoulé depuis que nous ne l’avons vu, des événements mémorables ont eu lieu, qui appartiennent à l’histoire, et ne sauraient trouver place dans ce récit.

Les nouveaux ministres avaient fait connaître leur programme, et proposé une mesure qui les avait élevés d’un coup jusqu’aux hauteurs étourdissantes de la faveur populaire, mais il était devenu évident que cette mesure ne pouvait triompher à moins d’un nouvel appel fait à la nation. Une dissolution du Parlement était donc inévitable, et Audley Egerton n’avait aucune chance d’être réélu par ses commettants, par la grande cité commerciale dont le nom était pour ainsi dire identifié au sien. Exemple plus triste que rare de l’instabilité de cette popularité dont jouissaient maintenant ses successeurs. Le grand orateur, l’homme d’affaires expérimenté, l’homme d’État en qui semblait personnifié ce sens droit et pratique, apanage de notre classe moyenne, celui par qui, trois ans auparavant, les collèges électoraux les plus éclairés et les plus considérables eussent tenu à honneur d’être représentés, Audley Egerton ne connaissait pas une seule ville (en dehors des influences de propriété) dans laquelle le candidat le plus obscur, en se proclamant le champion de la nouvelle mesure, ne l’eût complètement battu ; une seule ville où cette voix grave et sonore qui avait si souvent calmé le tumulte des factions, n’eût été étouffée sur les hustings par les cris et les huées d’une populace irritée.

À la vérité, les bourgs pourris existaient encore, et plus d’un homme important de son parti eût été heureux et fier qu’Egerton lui fût redevable de sa nomination ; mais l’âme hautaine de l’ex-ministre reculait devant l’idée d’un pareil contraste avec la position indépendante qu’il avait jusqu’ici occupée. Combattre la mesure populaire comme membre d’un des sièges dénoncés par le peuple, c’était prendre dans la grande armée des partis un poste peu digne de lui, et peu d’accord avec son caractère. Et si, dans quelques mois, ces sièges disparaissaient, étaient rayés des listes du Parlement, où en serait-il ? En outre, Egerton, débarrassé des liens qui avaient enchaîné sa volonté pendant que son parti était au pouvoir, voulait être libre d’agir en raison du tour que prendraient les événements, et n’être guidé que par sa propre pénétration. Il avait donc refusé les offres de tous ceux qui pouvaient encore disposer de sièges au Parlement, il lui restait les sièges qui pouvaient s’acheter à prix d’or, et les cinq mille livres que lui avait prêtées Lévy étaient encore intactes.