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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/148

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Pour cet homme isolé et solitaire la vie publique, comme nous l’avons vu, était tout. Mais maintenant, plus que jamais, elle redoublait d’importance. Près de lui la ruine était béante. Il savait que Lévy avait le droit de faire vendre ses biens quand bon lui semblerait, de saisir jusqu’à la maison où se déployait toute la pompe d’une suite qui rivalisait avec celle des ducs, d’annoncer la vente aux enchères par autorité de justice, du riche mobilier de l’honorable Audley Egerton. Mais en homme consommé dans la science du monde, Egerton était certain que Lévy n’en viendrait jamais là, tant qu’il occuperait une grande position politique, qu’il aurait devant lui la perspective de rentrer au pouvoir, et d’occuper peut-être la première place en Angleterre après le roi. Que Lévy, dont il devinait la haine sans en connaître les causes, se fût jusqu’ici abstenu d’une visite, d’une menace même, c’était là un signe que l’usurier le croyait encore un homme à aider, ou du moins trop puissant pour être écrasé. Ce que voulait donc avant tout Egerton, c’était de s’assurer une position libre et élevée dans le Parlement, ne fût-ce que pour un an — d’ici là de nouvelles combinaisons pouvaient surgir, une réaction pouvait avoir lieu dans l’opinion publique. Et appuyant la main sur son cœur, l’austère homme d’État murmurait : « Sinon, je ne souhaite que de mourir sous le harnais, en sorte que le monde ignore ma ruine — jusqu’au jour où je n’aurai plus à demander à mon pays qu’un tombeau. »

À peine avait-il prononcé ces mots, qu’on entendit frapper successivement deux fois à la grande porte ; presque aussitôt Harley entra suivi d’un domestique qui s’approcha d’Audley et annonça le baron Lévy.

« Priez le baron d’attendre, à moins qu’il ne préfère revenir en m’indiquant son heure, fit Egerton en changeant légèrement de visage. Vous pouvez lui dire que je suis avec lord L’Estrange.

— Je croyais que vous aviez rompu avec cet artisan de ruine, dit Harley dès que le valet de chambre se fut retiré.

— Mon cher Harley, cet homme vient sans doute pour me parler de quelque collège électoral. Il s’occupe beaucoup de ces sortes de négociations.

— Je suis venu dans le même but ; je réclame donc la priorité. Non-seulement j’entends dire dans le monde, mais encore je lis dans les journaux que Josiah Jenkins, esq., orateur auquel ses cuirs ont obtenu une sorte de célébrité, et le jeune lord Willoughby Whiggolin, qu’on vient de faire lord de l’Amirauté, parce qu’il est d’une santé trop délicate pour l’armée, seront certainement nommés par la ville qui vous avait jusqu’ici envoyé à la Chambre. Cela est-il vrai, Egerton ?

— Les membres de mon comité eux-mêmes votent pour Jenkins et Whiggolin ; et je crois qu’il n’y aura pas même de lutte. Continuez.

— Mon père et moi nous sommes d’avis, qu’en souvenir de notre vieille affection, il faut que vous consentiez à représenter encore cette fois Lansmere.