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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/149

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— Non, non, Harley, s’écria Egerton pâlissant plus visiblement que lorsqu’on lui avait annoncé la visite menaçante de Lévy.

— Non ! Et pourquoi ? D’où vient cette émotion ? » fit Harley surpris.

Audley garda le silence.

« J’ai communiqué cette idée, reprit Harley, à deux ou trois membres du dernier ministère, tous sont d’avis que vous acceptiez. Et d’abord, quoi de plus naturel que, cessant de vous porter candidat dans la ville pour laquelle vous aviez quitté Lansmere, vous reveniez à vos premiers électeurs ? En second lieu, Lansmere n’est ni un bourg pourri qui s’achète, ni un bourg inféodé à une seule famille : c’est un collège électoral assez nombreux. Mon père, à la vérité, y possède une influence considérable, mais pas au delà de celle qui revient légitimement à la propriété. Dans tous les cas, c’est moins dangereux qu’une lutte dans une plus grande ville, et plus digne qu’une élection dans une plus petite. Vous hésitez encore ? Ma mère elle-même m’a chargé de vous dire combien elle désire que vous acceptiez.

— Harley ! s’écria de nouveau Egerton, fixant sur le visage de son ami des yeux qui, lorsque l’émotion les adoucissait, étaient d’une grande beauté d’expression ; Harley, si vous pouviez lire dans mon cœur en ce moment, vous… vous… » Ici la voix lui manqua, il abaissa sur l’épaule d’Harley sa tête orgueilleuse, et serrant convulsivement la main de son ami : « Ô Harley ! dit-il, si jamais je perds votre affection, votre cœur, il ne me restera plus rien en ce monde.

— Audley, mon cher, cher Audley, est-ce bien vous qui me parlez ainsi ? Vous, mon ami de collège, le confident de toute ma vie, vous ?

— Je deviens faible et déraisonnable, dit Egerton s’efforçant de sourire, je ne me reconnais plus, moi que vous aviez coutume d’appeler le stoïque, et que vous compariez à l’homme de fer du poème que vous lisiez à Eton, au bord de la rivière.

— Mais alors même, mon cher Audley, je savais qu’un cœur chaud et dévoué battait sous votre cuirasse de fer. Et je me suis souvent étonné que vous ayez pu traverser la vie sans… »

Egerton, qui avait détourné la tête pour échapper au regard de son ami, garda quelque temps le silence, puis faisant un effort pour changer la conversation, il demanda à Harley s’il avait réussi dans ses projets relatifs à Béatrix et au comte.

« Quant à Peschiera, répondit Harley, je crois que nous nous étions exagéré le danger et que sa gageure n’était qu’une vaine forfanterie. Il est resté inactif et paraît ne songer qu’au jeu. Sa sœur, depuis quelques jours, m’a fait refuser sa porte ainsi qu’à mon jeune associé. Je crains qu’en dépit de mes sages avertissements, elle ne lui ait tourné la tête et qu’il n’ait été repoussé avec mépris, ou bien peut-être s’est-il aperçu du péril et désire-t-il s’y soustraire, car il paraît fort embarrassé lorsque je lui parle de la marquise. Mais si le comte cesse d’être formidable, nous n’avons plus besoin de sa sœur, et j’espère encore obtenir justice pour mon pauvre Italien par les voies ordinaires. Je me suis fait un allié d’un jeune prince autrichien, en ce