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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/151

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« Je vous demande pardon, Lévy, dit l’ex-ministre, de vous avoir fait attendre. Me voici à votre disposition.

— Les excuses sont inutiles entre de vieux amis comme nous, mon cher, et je crains d’ailleurs que le sujet de ma visite ne soit pas assez agréable pour vous rendre impatient de le traiter.

Egerton (d’un grand sang-froid). Dois-je conclure de ceci que vous désirez terminer nos comptes ? Quand il vous plaira, Lévy.

Le baron (surpris et déconcerté). Peste ! mon cher, vous prenez tranquillement les choses. Mais si nous terminons nos comptes, je crains qu’il ne vous reste que bien peu de chose.

Egerton. J’aurai toujours mes émoluments de ministre.

Le baron. Mais vous n’êtes plus ministre.

Egerton. M’avez-vous jamais vu me tromper dans mes prévisions politiques ? Avant un an, si je vis, je serai ministre. Si cela vous est égal, je préférerais attendre jusque-là, pour vous céder à l’amiable mes domaines et cette maison. Si vous m’accordez ce sursis, nos relations pourront se terminer sans un éclat qui probablement vous serait aussi préjudiciable qu’il me serait pénible. Mais si ce délai vous gêne, je chargerai un homme de loi d’examiner vos comptes et de régler mon passif.

Le baron (à part). Je ne me soucie pas de ça. Un homme de loi ; la chose pourrait être gênante.

Egerton (contemplant le baron d’un air de dédain). Eh bien ! Lévy, que décidez-vous ?

Le baron. Vous savez, mon cher, qu’il n’est pas dans mes habitudes de me montrer impitoyable envers personne, encore moins envers un ancien ami. Si vous croyez réellement qu’un esclandre au sujet de vos affaires doive diminuer vos chances de rentrer au pouvoir, nous trouverons peut-être moyen de concilier les choses. Mais pour devenir ministre, il faut d’abord, mon cher, que vous ayez un siège au Parlement ; et, pardonnez-moi la question, où diable en trouverez-vous un ?

Egerton. Il est trouvé.

Le baron. Ah ! j’oubliais les cinq mille livres que vous m’avez empruntées.

Egerton. Non, je réserve cette somme pour un autre emploi.

Le baron (avec un rire forcé). Peut-être pour vous défendre contre les poursuites que vous redoutez de ma part.

Egerton. Vous vous trompez. Mais pour calmer vos soupçons, je vous avouerai franchement que, sachant bien que toute somme pour laquelle j’assurerais ma vie vous appartiendrait après ma mort, puisque vous êtes mon seul créancier, et doutant d’ailleurs qu’aucune compagnie voulût m’assurer, j’ai approprié cette somme au soulagement de ma conscience. J’ai l’intention de la donner de mon vivant à un parent de ma femme, à Randal Leslie. Et c’est uniquement le désir d’accomplir ce que je considère comme un acte de justice, qui m’a décidé à accepter un service d’Harley L’Estrange et à me présenter de nouveau pour Lansmere.