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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/162

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à cette circonstance, je ne pouvais me permettre rien de plus, car j’ignorais jusqu’où allaient les sentiments de Frank. J’ajouterai, monsieur, que mistress Hazeldean, bien qu’elle n’encourageât pas l’idée du mariage de son fils avec une catholique et une étrangère, ne m’a pas paru considérer ces obstacles comme insurmontables, dans le cas où le honneur de Frank serait attaché à une semblable union. »

Ici l’infortuné squire se livra à une fureur dans laquelle il confondit Frank, Randal, Harry elle-même et la race tout entière des étrangers, des catholiques et des femmes. Tandis que son ami était encore incapable d’entendre raison, le curé, prenant Randal à part, se convainquit que toute l’affaire, du moins en ce qui concernait celui-ci, s’expliquait par une méprise assez naturelle ; qu’alors que le jeune homme faisait allusion à Béatrix, mistress Hazeldean avait cru qu’il parlait de Violante. Il réussit, quoique avec difficulté, à faire comprendre cette explication au squire, et par suite à apaiser un peu sa colère contre Randal. Le traître, saisissant alors le moment propice, exprima tant de chagrin et d’étonnement en apprenant que les choses étaient allées aussi loin que le curé l’en informait, que Frank avait réellement demandé et obtenu la main de Béatrix, et s’était engagé à l’épouser avant même d’en avoir dit un mot à son père ; il témoigna une telle sympathie pour le chagrin du squire, un tel regret de l’engagement qu’avait pris Frank, que M. Hazeldean finit par ouvrir son cœur droit et honnête à son consolateur et, lui serrant fortement la main : « J’ai été injuste envers toi, lui dit-il, je t’en demande pardon. Que nous reste-t-il à faire maintenant ?

— Vous ne sauriez consentir à ce mariage, c’est impossible, dit Randal ; il faut donc que nous essayions de rappeler Frank au sentiment de son devoir.

— Oui, dit le squire, car je ne céderai pas. Il s’est mis là dans une belle passe ! Et c’est une veuve encore, m’a-t-on dit. L’artificieuse coquine ! elle a cru attraper un Hazeldean d’Hazeldean, j’en suis sûr, elle a cru que mes domaines passeraient à sa couvée de métis papistes ! Cela ne sera pas ! Non, non, jamais !

— Mais, dit le curé avec douceur, peut-être sommes-nous injustement prévenus contre cette dame. S’il se fût agi de Violante, vous auriez donné votre consentement, pourquoi le lui refuseriez-vous ? Elle est, je crois, d’une bonne famille ?

— Oh ! certes oui, dit Randal.

— D’une bonne réputation ? »

Randal secoua la tête et soupira. Le squire lui prit rudement le bras : « Répondez, répondez au curé, s’écria-t-il avec véhémence.

— En vérité, monsieur, il me répugne de parler sans respect d’une personne… qui peut devenir la femme de Frank ; et puis le monde est si méchant et souvent si menteur. Mais vous pouvez en juger vous-même, monsieur Hazeldean. Demandez à votre frère s’il conseillerait à son neveu d’épouser Mme di Negra ?

— Mon frère ! s’écria le squire furieux, que je consulte mon frère sur les affaires de mon propre fils !