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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/163

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— C’est un homme d’expérience, dit Randal.

— Et de plus un homme de cœur et d’honneur, dit le curé, et il est possible qu’avec son autorité nous parvenions à éclairer Frank et à l’arracher aux pièges d’une femme artificieuse.

— En attendant, dit Randal, je vais chercher Frank et faire de mon mieux auprès de lui. Laissez-moi aller, je serai de retour dans une heure.

— Je vous accompagne, dit le curé.

— Excusez-moi, mais je crois que deux jeunes gens causeront plus ouvertement ensemble qu’en présence d’un tiers, si sage et si bien intentionné qu’il soit.

— Laissez aller Randal, » grommela le squire.

Et Randal sortit.

Il passa quelque temps avec Frank, et le lecteur devinera aisément comment ce temps fut employé. En quittant le logis du jeune homme, il se sentit soudain arrêté par le squire en personne.

« J’étais trop impatient pour rester à la maison à écouter les phrases du curé, dit M. Hazeldean. Je me suis débarrassé de Dale. Dites-moi ce qui s’est passé. Oh ! ne craignez rien ; je suis un homme et je saurai tout supporter. »

Randal passa le bras du squire sous le sien, et l’entraîna dans le parc adjacent.

« Mon cher monsieur, lui dit-il tristement, ce que je vais vous dire est tout à fait confidentiel. Je ne vous le répète que parce que, sans cette confidence, je ne saurais comment vous conseiller sur la marche à suivre. Si je trahis Frank, ce n’est que pour son bien et vis-à-vis de son propre père — Seulement ne lui en dites rien. Il ne me le pardonnerait pas, et je perdrais toute influence sur lui.

— Dites, dites, fit le squire, parlez. Non, je ne dirai jamais à cet ingrat que j’ai appris ses secrets par un autre.

— Eh bien donc, dit Randal, voici tout le secret de son engagement avec Mme di Negra ; il l’a trouvée endettée et même sur le point d’être arrêtée.

— Endettée ! arrêtée ! la Jézabel !

— Et en payant ses dettes et la sauvant du déshonneur, il lui a rendu un service qu’aucune femme d’honneur ne peut accepter que d’un futur mari. Pauvre Frank ! il s’est laissé prendre. Il faut le plaindre et lui pardonner. »

À la grande surprise de Randal, le visage du squire s’éclaircit soudain.

« Je vois, je vois ce que c’est, s’écria-t-il en frappant sur sa cuisse. J’y suis, j’y suis ; ce n’est qu’une affaire d’argent. Je puis l’acheter. Si elle a accepté son argent, la misérable mercenaire, elle acceptera bien le mien. Peu importe ce qu’il m’en coûtera, fût-ce la moitié de ma fortune, tout s’il le faut ! Je consentirais à ne jamais revoir le manoir d’Hazeldean, pourvu que je sauve mon fils du déshonneur et du malheur, car il sera malheureux, lorsqu’il saura qu’il a brisé mon cœur et celui de sa mère. Et pour une créature comme celle-là ! Mille