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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/17

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et des salons dans Grosvenor-Square, tombaient aux mains de l’heureux dormeur aussi facilement que l’empire de Chaldée dans celles de Darius le Mède.

S’éveillant en sursaut, il s’habilla à la hâte et fut consterné d’entendre sonner onze heures, car ce n’était jamais qu’au déjeuner qu’il avait l’occasion de causer un peu avec son austère patron, et à onze heures celui-ci devait être sorti. Il l’était en effet. Randal acheva promptement son repas solitaire ; puis, saisi d’une subite affection pour son bureau, il résolut de s’y rendre. En traversant Piccadilly, il reconnut une voix qui depuis peu lui était devenue familière, et, se retournant, il aperçut le baron Lévy marchant, sans pourtant lui donner le bras, à côté d’un gentleman presque aussi élégant que lui-même, mais dont le pas était plus leste et plus allègre que le sien.

Tandis que Randal se retournait à la voix de Lévy, celui-ci disait tout bas à son compagnon :

« Un jeune homme qui fréquente le meilleur monde, vous devriez l’attirer aux soirées de votre femme.

— Comment vous portez-vous, monsieur Leslie ? Permettez que je vous présente à M. Richard Avenel. »

Puis, passant son bras sous celui de Randal, il lui dit à l’oreille :

« Un homme du plus grand talent, immensément riche, qui a dans sa poche deux ou trois sièges au Parlement ; sa femme donne des soirées, c’est son faible.

— Je suis ravi de faire votre connaissance, monsieur, dit Avenel en soulevant son chapeau. Voici un beau temps.

— Un peu froid, dit Randal qui, comme presque toutes les personnes maigres et délicates, était très-frileux.

— Il n’en est que plus sain ; cela donne du ton, dit Avenel ; mais, vous autres jeunes gens, vous êtes énervés par les veilles et l’atmosphère des salons. Vous aimez la danse, bien entendu, monsieur ? »

Puis, sans attendre la réponse de Randal, M. Avenel continua rapidement :

« Mistress Avenel donne une soirée dansante jeudi prochain. Je serais charmé de vous recevoir à Eaton-Square. Attendez, je vais vous donner une carte. »

Et, tirant de sa poche une douzaine de grandes cartes d’invitation, il en choisit une et la présenta à Randal. Le baron pressa le bras de celui-ci, lequel répliqua poliment qu’il s’estimerait heureux d’être présenté à mistress Avenel. Puis, comme il lui était peu agréable d’être vu sous l’aile du baron Lévy, semblable à un pigeon sous celle d’un faucon, il se dégagea doucement, et, prétextant une besogne pressée, il se dirigea rapidement vers son bureau.

« Ce jeune homme finira par faire figure, dit le baron. Je n’en connais pas qui ait moins de préjugés. Il est allié à la famille d’Audley Egerton, qui…

— Audley Egerton ! interrompit M. Avenel ; cet animal hautain, désagréable, ingrat !

— Comment ? Que savez-vous de lui ?