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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/187

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termède n’eût pu, dans aucun cas, se prolonger dans la vie d’un homme comme Egerton ; les circonstances contribuèrent encore à l’abroger. Ses affaires étaient dans le plus grand désordre ; elles étaient toutes confiées à Lévy. Des demandes jusqu’ici timides se firent menaçantes. Harley, de retour à Londres, après d’inutiles recherches, voulait revoir son ami. Audley fut obligé de quitter son Éden secret et de reparaître dans le monde ; ce ne fut qu’à la dérobée qu’il vint dans sa maison, dont il cessa d’être l’hôte pour n’être plus que le visiteur. Les réclamations des créanciers devenaient chaque jour plus bruyantes et plus furieuses, au moment même où Egerton avait le plus besoin de tout l’appui que peuvent donner, pour s’élever, le respect public, une position honorable, une réputation d’indépendance pécuniaire, à un homme qui, dans sa marche vers la fortune, s’est encombré d’un fardeau. On le menaçait de la saisie, de la prison. Lévy disait qu’emprunter davantage ne ferait qu’agrandir sa ruine, haussait les épaules et lui conseillait une retraite volontaire dans la prison pour dettes ; rien de meilleur, disait-il, pour effrayer ses créanciers et les amener à composition ; « mais, ajoutait-il avec ironie, pourquoi ne pas vous adresser au jeune L’Estrange ? c’est un garçon qui semble créé pour qu’on lui emprunte de l’argent. »

Lévy, qui avait appris de lady Jane l’amour d’Harley pour Nora, connaissait déjà le moyen de se venger d’Egerton. Audley ne voulait rien demander à l’ami qu’il avait trahi, et quant aux autres amis, personne n’en avait, il est vrai, un plus grand nombre que lui, mais aussi personne ne savait mieux qu’il les perdrait tous s’ils apprenaient une fois qu’il eût besoin de leur argent. Humilié, harassé, torturé, fuyant Harley qui le cherchait toujours, terrifié à chaque coup qu’on frappait à sa porte, Egerton résolut de s’aller cacher dans le vieux manoir paternel et de s’y livrer à un sérieux examen de ses affaires.

Et alors (pour abréger autant que possible un récit qui s’assombrit et s’attriste à chaque page), alors Lévy commença son œuvre d’astucieuse vengeance, et peu à peu ses artifices prévalurent. Sous prétexte d’aider Egerton dans l’arrangement de ses affaires, qu’il était secrètement parvenu à compliquer davantage encore, il venait fréquemment passer quelques heures à Egerton-Hall ; il arrivait par la malle-poste et observait l’effet que produisaient les lettres presque quotidiennes de Nora sur le nouveau marié, harcelé par les soucis matériels de la vie. Il était ainsi toujours prêt à inspirer à l’ambitieux le regret de l’imprudence à laquelle l’avait entraîné sa passion, ou à rendre plus amer le remords qu’éprouvait Audley de sa trahison envers L’Estrange. Présentant ainsi sans cesse à l’esprit du débiteur harassé des images en opposition avec l’amour, avec la poésie de la vie, il le désaccordait pour ainsi dire pour la réception des lettres de Nora, toutes remplies des pensées qu’une imagination délicate suggère au plus ardent amour. Egerton était de ceux qui ne confient jamais pleinement leurs affaires aux femmes. Nora, en écrivant ainsi, ignorait donc l’étendue de sa cruelle détresse. Et Lévy était