Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours là, lui représentant la prose de la vie sous sa forme la plus cynique : cette surabondance d’affection, cette douleur de son absence, ces prières pour son retour, ces doux reproches lorsqu’un courrier manquait d’apporter une réponse, tout cela apparut à l’homme pratique et préoccupé de la vie réelle comme une exagération romanesque et fatigante. Les brillantes flèches étaient lancées trop haut pour atteindre un but si proche de la terre. Ah ! c’est le sort commun des natures supérieures ! Quels trésors elles renferment et combien vainement elles les prodiguent !

« À propos, dit un matin Lévy en prenant congé d’Audley pour retourner à Londres, j’irai ce soir dans le voisinage de mistress Egerton.

— Dites mistress Bertram.

— N’a t-elle pas besoin de quelque argent ?

Egerton. Ma femme ! Pas encore. Il faudrait que je fusse complètement ruiné pour la laisser manquer d’argent, et s’il en était ainsi, croyez-vous que je ne serais pas auprès d’elle ?

Lévy. Je vous demande pardon, mon cher ; votre fierté de gentilhomme est si susceptible qu’il est difficile à un homme de loi de ne pas la blesser sans le vouloir. Votre femme alors n’est donc pas informée de l’état de vos affaires ?

Egerton. Non certainement. À quoi bon confier à une femme des choses auxquelles elle ne peut rien, si ce n’est que vous tourmenter plus encore ?

Lévy. C’est vrai, et à une poétesse surtout. Je vous ai interrompu dans votre réponse, voulez-vous m’en charger, elle l’aura un jour plus tôt, c’est-à-dire si vous ne trouvez pas mauvais que j’aille chez elle ce soir ?

Egerton (s’asseyant pour finir sa lettre). Le trouver mauvais ? Non ; pourquoi ?

Lévy (regardant sa montre). Dépêchez-vous ou vous me ferez manquer la voiture.

Egerton (cachetant sa lettre). Là ; je vous serai obligé de l’aller voir et, sans cependant l’inquiéter au sujet de ma position, de lui dire que vous me savez occupé en ce moment d’affaires importantes, afin d’adoucir un peu l’effet de mes brèves réponses.

Lévy. À ces longues lettres croisées en tous sens. Oui.

— Pauvre Nora ! fit Egerton en soupirant, cette réponse va lui sembler bien courte et bien maussade. Expliquez-lui mes excuses, afin que cela serve une fois pour toutes. Je n’ai réellement ni le temps ni le cœur de faire du sentiment ; cependant je l’aime d’une tendre et profonde affection.

— Il a fallu en effet que vous l’aimassiez beaucoup ; je ne vous aurais pas cru capable de sacrifier le monde à une femme.

— Ni moi non plus. Mais, ajouta l’homme ferme et courageux ayant la conscience de sa force, je n’ai pas encore sacrifié le monde. Ce bras élèvera Nora en même temps que moi.

— Bien dit ; mais en attendant, pour l’amour du ciel, n’essayez