Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas de retourner à Londres ni de quitter votre manoir, car en ce cas vous seriez arrêté, et alors adieu à tout espoir du Parlement et d’une carrière politique. »

La physionomie hautaine d’Egerton s’assombrit. Ainsi que le chien le plus brave se détourne intimidé à la vue d’une pierre ramassée dans la boue, de même quand l’ambitieux lève la tête, prêt à braver le monde, murmurez à son oreille les mots de déshonneur et de geôle, et le voilà qui baisse la tête.

Le même soir Lévy se rendit chez Nora, et il gagna le cœur de la jeune femme en lui faisant l’éloge d’Egerton ; il fit indirectement d’humbles et apologétiques allusions à son ancienne présomption, et se ménagea ainsi la possibilité de renouveler ses visites. Nora était si isolée, elle avait tant de plaisir à voir un homme qui venait de voir Egerton et qui parlait de lui ! Peu à peu le visiteur obtint sa confiance, et alors, au milieu du panégyrique des talents supérieurs d’Audley, il glissa quelques mots de l’ambition du jeune mari, de son ardeur à s’élever ; il insista assez pour alarmer vaguement Nora, pour lui donner à entendre que si chère qu’elle fût à Audley, elle n’avait dans son cœur que la seconde place. Les voies ainsi préparées, il commença à exprimer une respectueuse pitié pour la position équivoque de la jeune femme ; il parla vaguement de bavardages, de médisances, de sa crainte que le mariage ne fût reconnu trop tard pour sauver la ; réputation de Nora. Et quels seraient les sentiments du fier Egerton si sa femme allait être exclue de ce monde dont l’opinion avait pour lui tant de poids ! Il amena insensiblement Nora à exprimer timidement dans ses lettres ses propres craintes, son désir bien naturel que le mariage fût proclamé.

Audley sentait que proclamer un pareil mariage en ce moment ce serait renoncer à sa dernière chance de fortune et de réputation. Puis Harley, Harley si loin d’être guéri de son amour passionné ! Et lorsque arrivaient pareilles lettres, Lévy se trouvait toujours là.

Bientôt il alla plus loin encore, résolu qu’il était à désunir ces deux cœurs. Il réussit, au moyen d’agents salariés, à répandre dans le voisinage de Nora les calomnies dont il l’avait menacée. Il s’arrangea en sorte que, insultée au dehors, outragée chez elle par les sarcasmes de sa propre servante, elle en vînt à trembler devant son ombre, à son foyer solitaire.

Au plus fort de cette intolérable angoisse, Lévy reparut. Son heure était venue. Il donna à entendre qu’il connaissait les humiliations qu’avait endurées Nora ; il lui en témoigna sa compassion ; il offrit d’intercéder auprès d’Egerton pour que justice lui fût rendue. Il se servait ainsi de phrases ambiguës qui blessaient l’oreille de la jeune épouse, torturaient son cœur et l’amenèrent à le prier de s’expliquer ; il la jeta alors dans un état de crainte vague dont il profita pour obtenir d’elle la promesse solennelle de ne jamais révéler à Audley ce qu’il allait lui dire ; il lui confia ensuite d’un air de répugnance hypocrite que son mariage n’était pas strictement légal, que les formalités exigées par la loi n’avaient pas été remplies, qu’Audley, involontai-