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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/190

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rement ou à dessein, avait conservé la liberté de désavouer ce mariage et d’abandonner sa fiancée. Tandis que Nora demeurait muette et abasourdie en écoutant ce mensonge, qu’à l’aide de termes légaux il fit paraître vraisemblable à son inexpérience, il réveilla dans son esprit l’idée de l’orgueil, de l’ambition d’Audley, de l’extrême importance qu’attachait celui-ci à sa position dans le monde. « Là sont vos ennemis, dit-il, mais j’espère le décider à réparer l’injure et à vous rendre enfin justice. » Réparer l’injure ! Ô infamie !

La colère de Nora éclata. Elle, croire qu’Egerton avait ainsi failli à l’honneur !

« Mais s’est-il soucié de l’honneur lorsqu’il a trahi son ami ? Ne saviez-vous pas que lord L’Estrange l’avait chargé de plaider sa cause ? Comment a-t-il rempli sa mission ? »

Plaider la cause de L’Estrange ! Nora n’avait jamais songé à cela. Après les timides allusions qu’avait faites Audley à la demande en mariage de son ami, et la réponse ferme et froide de Nora, celle-ci avait oublié tout ce qui concernait Harley.

Lévy reprit la parole ; il appuya sur la trahison d’Audley envers son ami et ajouta : « Dans le monde d’Egerton trahir un ami est une faute bien autrement grave que de tromper une femme, et si Egerton a pu faire l’un, est-il probable qu’il reculerait devant l’autre ? Mais ne me regardez pas avec ces yeux indignés. Mettez-le à l’épreuve, écrivez-lui que les soupçons injurieux de tout ce qui vous entoure vous sont devenus intolérables, qu’ils ont fini par vous atteindre vous-même ; que le secret gardé sur votre mariage, son absence prolongée, son refus de proclamer le lien qui vous unit, tout contribue à faire naître en vous un doute terrible. Demandez-lui que du moins, s’il ne veut pas encore déclarer votre mariage, il vous donne la preuve de sa légalité.

— Je vais aller le trouver, s’écria impétueusement Nora.

— Aller le trouver ! Dans son propre château ! Quelle scène, quel scandale ! Il ne vous le pardonnerait jamais.

— Eh bien alors, je vais le supplier de venir ici ; je ne saurais écrire ces horribles paroles ; c’est impossible. Laissez-moi. Allez. »

Lévy la quitta et alla trouver deux ou trois des créanciers les plus pressants d’Audley, gens qu’il faisait mouvoir à son gré et qui se conduisaient entièrement d’après ses avis. Il les engagea à faire entourer de recors le manoir d’Audley, en sorte que si Egerton tentait de rejoindre Nora il fût arrêté et mené en prison. Après quoi Lévy se rendit lui-même chez Audley, où il se présenta comme de coutume, une heure avant que le facteur n’apportât les lettres.

Celle de Nora arriva, et jamais le front d’Egerton n’avait été plus sombre que tandis qu’il la lisait. Néanmoins, avec sa décision accoutumée, il résolut aussitôt de céder au désir de sa femme ; il sonna et donna ordre à son domestique d’aller chercher des chevaux de poste. Lévy alors l’attira vers la fenêtre.

« Regardez sons ces arbres, lui dit-il. Voyez-vous ces hommes ? Ce