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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/20

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nible, vous voyez que je tremble, malgré la vigueur de mes nerfs, et, en ce temps-ci surtout, j’ai besoin de toute ma force et de toute ma fermeté.

— J’ai en effet entendu dire que le ministère va probablement se retirer ; mais c’est du moins avec honneur, et il sera bientôt rappelé par la voix de la nation.

— Permettez que je voie l’épouse future d’Harley, » dit Egerton sans prendre garde à ce compliment de condoléance.

La comtesse sortit, et rentra après quelques minutes, accompagnée d’Hélène Digby.

Hélène était merveilleusement embellie depuis le temps où nous l’avons vue pâle et délicate, avec son doux sourire et son regard intelligent, assise près de Léonard dans son grenier. Elle était de taille moyenne, toujours mince, mais élégante ; elle avait cette gracieuse rondeur de formes qui s’allie si bien à l’idée de la femme faite pour embellir la vie et en adoucir les angles trop rudes, faite pour embellir, non pour protéger. Les lignes de son visage n’eussent peut-être pas satisfait l’œil d’un artiste, il manquait de régularité, mais l’expression en était éminemment douce et agréable, et en la regardant on ne pouvait s’empêcher de dire : « Quelle charmante physionomie ! »

Une teinte de mélancolie se mêlait à cette douceur ; la jeunesse d’Hélène conservait des traces de son enfance. Sa démarche était un peu lente, et ses manières timides et réservées.

Audley la regarda avidement tandis qu’elle s’approchait de lui, puis, se levant, il lui prit la main et la baisa.

« Je suis le plus ancien ami de votre tuteur, » dit-il en l’attirant dans l’embrasure d’une fenêtre ; et il jeta vers la comtesse un regard indiquant qu’il désirait causer librement avec Hélène. Lady Lansmere le comprit ; elle resta dans le salon, mais prit un livre et s’assit à quelque distance.

C’était un spectacle touchant que de voir l’austère homme d’État s’efforçant d’attirer à lui la douce et timide jeune fille, et quiconque l’eût alors écouté se fût aisément rendu compte de son influence sociale et eût été frappé de l’habileté avec laquelle il savait adapter son esprit à celui des femmes.

Il parla d’Harley L’Estrange. Il en parla avec tact et délicatesse. Hélène, qui ne répondait d’abord que par monosyllabes, s’enhardit peu à peu jusqu’à exprimer sa reconnaissante affection. Le front d’Audley devint soucieux. Il parla alors de l’Italie, et bien que personne ne fût moins poète que lui, cependant avec la dextérité d’un homme du monde accoutumé à étudier les caractères les plus opposés au sien, il suggéra certaines idées de nature à provoquer l’expression de sentiments poétiques chez une femme.

Les réponses d’Hélène témoignaient d’un goût cultivé, d’un esprit délicat, mais elles indiquaient aussi une imagination accoutumée à se colorer de reflets, à apprécier, admirer, révérer ce qui est grand et beau, mais humblement et doucement. Il n’y avait dans son langage ni enthousiasme chaleureux, ni remarques originales, aucun éclair