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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/203

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l’étroit escalier, seul et sans être vu ; il entra dans la chambre mortuaire. À côté du lit était assis John Avenel, qui semblait plongé dans un lourd sommeil. Il était frappé de paralysie, mais il l’ignorait, et personne ne le savait encore. Qui eût songé à s’occuper de cet homme vigoureux dans un pareil moment ? pas même sa malheureuse femme ! On l’avait laissé là pour garder la maison et veiller la morte… et lui-même était engourdi par la main glacée et invisible ! Audley s’approcha du lit ; il leva la couverture qu’on avait jetée sur le pâle et immobile visage. Ce qui se passa en lui pendant qu’il le contempla, qui pourrait le dire ? Mais quand il quitta la chambre et descendit lentement l’escalier, il laissait derrière lui l’amour et la jeunesse, toutes les espérances et toutes les joies de la vie, et pour jamais !

Il retourna vers lady Lansmere, qui l’attendait dans une anxiété nerveuse.

« Maintenant, dit-il froidement, je vais aller vers Harley et je l’empêcherai de revenir ici.

— Vous avez vu les parents ? Bonté divine ! Sont-ils informés de votre mariage ?

— Non ; c’est à Harley que je dois l’avouer d’abord. Jusque-là, silence !

— Oui, silence ! » répéta lady Lansmere ; et sa main brûlante se posa sur celle d’Audley, qui était glacée.

Une heure plus tard, Egerton quittait la maison, et, avant midi, il était près d’Harley.

Il nous faut maintenant expliquer comment toute la famille Avenel, excepté le pauvre père, s’était trouvée absente.

Nora était morte en donnant le jour à un fils ; elle était morte en proie à un violent délire. Dans ce délire, elle avait parlé de honte, de déshonneur ; elle n’avait point au doigt d’anneau nuptial. Au milieu de sa douleur, la première pensée de mistress Avenel fut de sauver la réputation de sa fille… l’honneur des Avenel. Nulle matrone issue du sang des rois n’eût pu attacher plus de prix à l’honneur de son nom que l’austère marchande calviniste.

« Nous songerons plus tard au chagrin, sauvons d’abord l’honneur ! » avait-elle dit ; puis, d’un œil sec, elle avait réfléchi, examiné combiné un plan. Jeanne Fairfield emporterait l’enfant sur-le-champ, avant le lever du jour, et le nourrirait en même temps que le sien.

Mark partirait avec elle, car mistress Avenel redoutait l’indiscrétion de sa violente douleur. Elle-même les accompagnerait une partie du chemin pour leur persuader, leur commander le silence. Mais ils ne pouvaient retourner à Hazeldean avec un autre enfant ; il fallait que Jeanne allât vivre dans un pays où elle serait inconnue ; les deux enfants passeraient alors pour jumeaux. Et mistress Avenel, quoique naturellement humaine, affectueuse et tendre pour les enfants, regarda avec une sorte de satisfaction sinistre l’enfant chétif de Jeanne, en se disant : « S’il n’y en avait plus qu’un, toutes les