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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/204

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difficultés seraient aplanies ! L’enfant de Nora pourrait alors passer toute sa vie pour celui de Jeanne. »

Mistress Avenel n’avait point de servante, elle pouvait compter sur la discrétion du docteur Morgan, et, quant à M. Dale, dans quel but irait-il révéler le déshonneur d’une famille ? Le même jour ou le lendemain au plus tard, elle engagerait son mari à s’absenter, de crainte qu’il ne parlât pendant que sa douleur était plus forte que son orgueil. Elle resterait seule dans la maison de mort jusqu’à ce qu’elle pût espérer que tous les autres auraient la prudence de se taire. Elle se disait qu’avec ces précautions, le nom du moins serait sauvé. Elle pressa donc Mark et sa femme de partir, et monta avec eux dans la carriole couverte qui cacha leurs figures à tous trois, laissant pour quelques heures à son mari le soin de garder la maison et le corps de leur fille. Cette femme peut sembler dure et insensible ? Si Nora eût lu, du haut du ciel, dans le cœur de sa mère, Nora n’eût pas pensé ainsi. Lorsque la pierre du sépulcre est retombée sur notre poussière, un nom sans tache est tout ce qui reste de nous sur la terre. Mieux vaut que nos amis nous conservent ce trésor, que de s’asseoir à pleurer près de notre enveloppe périssable.

Harley fut grandement surpris de voir arriver Egerton, et plus surpris encore lorsque celui-ci lui dit qu’une opposition formidable lui était suscitée à Lansmere, qu’il n’y avait aucune chance de succès, et qu’il avait par conséquent résolu de renoncer à la lutte. Audley écrivit au comte à cet effet, mais la comtesse, qui connaissait sa véritable raison, en dit quelques mots à son mari ; de sorte que, ainsi que nous l’avons vu au commencement de cette histoire, la cause d’Egerton ne fut point abandonnée lorsque le capitaine Dashmore apparut sur le champ de bataille, et, grâces aux démarches et à l’éloquence de M. Hazeldean, Audley l’emporta sur son concurrent de deux voix : celles de John Avenel et de Mark Fairfield. Car, bien que le premier, sur l’avis du médecin, se fût installé à quelque distance de la ville, que le mal qui l’avait frappé le rendît sur tout autre sujet docile comme un enfant et qu’il ne comprît que vaguement les circonstances relatives au retour et à la mort de Nora, il voulut cependant savoir ce que devenaient les bleus, et quitta son lit pour voter, comme il s’y était engagé. « Il a raison, dit mistress Avenel elle-même ; mieux vaut mourir que manquer à sa parole. »

La foule s’écarta respectueusement en voyant apporter sur un fauteuil l’homme qu’elle avait vu quelques jours auparavant si jovial et si vigoureux et en l’entendant dire d’une voix chevrotante : « Je suis un vrai bleu ! vivent les bleus ! »

Les élections sont chose merveilleuse. Ceux qui n’y ont pas assisté ne peuvent s’imaginer à quel point l’ardeur qu’on y apporte triomphe de la maladie, du chagrin, de tous les événements de la vie privée !

On envoya à Audley, du château de Lansmere, la dernière lettre de Nora. Le facteur l’y avait apportée deux heures après son départ. Lorsqu’il l’ouvrit, l’anneau nuptial roula à ses pieds. Et ces reproches