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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/207

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après ce départ Audley se rendit au village que lui avait indiqué M. Dale pour y voir l’enfant de Nora. Mais Jeanne, sur l’ordre de sa mère, s’y était établie sous un nom supposé pour échapper aux bavardages et tromper la curiosité ; la douleur et l’agitation avaient tari son lait ; elle mit l’enfant de Nora en nourrice à une petite distance du village et essaya d’élever au biberon le sien qu’elle jugea trop délicat pour s’en séparer, et qui mourut bientôt. Mark et Jeanne retournèrent à Hazeldean avec Léonard qui passa dès lors pour leur enfant.

Lorsque Egerton s’enquit de Jeanne dans le village, il apprit qu’elle était partie quelques jours auparavant, le lendemain même, ajouta-t-on, du jour où son enfant avait été enterré. Son enfant enterré ! Egerton n’en écouta pas davantage ; il ne sut donc rien de l’enfant qui avait été mis en nourrice. Après avoir parcouru lentement le cimetière et contemplé quelques instants le petit tertre, en appuyant la main sur ce cœur à qui l’on avait défendu toute émotion violente, il repartit sur-le-champ pour Londres. Aucune raison ne le pressait plus de reconnaître son mariage, la réputation de Nora était intacte, son enfant était mort, et sa pénible position vis-à-vis d’Harley l’obligeait au silence.

Audley reprit machinalement sa vie accoutumée. Il s’efforça de diriger de nouveau ses pensées vers ce qui tente les ambitieux. Sa pauvreté lui était une continuelle entrave, sa dette pécuniaire envers Harley l’humiliait et l’affligeait. Il ne voyait d’autre moyen pour dégager ses domaines et s’acquitter envers son ami que de contracter une riche alliance. Mort à toute pensée d’amour, il envisagea cette nécessité d’abord avec répugnance, puis avec une indifférence apathique. Lévy, dont il ignorait la trahison, avait toujours sur lui le pouvoir qu’un usurier conserve à jamais sur l’homme qui a été, qui est, ou qui peut être son créancier. Lévy le pressait sans cesse de demander en mariage la riche miss Leslie. Lady Lansmere, dans le but de le consoler de la perte qu’il avait faite, l’en pressait aussi ; Harley influencé par sa mère lui écrivait la même chose.

« Arrangez la chose comme il vous plaira, dit enfin Egerton à Lévy, pourvu que je ne dépende pas de ma femme.

« Demandez-la pour moi si vous voulez, dit-il à lady Lansmere. Je ne pourrais lui faire la cour, il me serait impossible de parler d’amour. »

De façon ou d’autre le mariage, avec tous les avantages qu’il apportait au gentilhomme ruiné, fut conclu. Et Egerton se montra, dans le monde, l’époux digne et poli que nous avons vu, marié à une femme qui l’adorait. C’est le sort commun des hommes de ce caractère de n’être que trop aimés !

Il fut touché du reproche que lui fit sa femme à son lit de mort : « Quoi que j’aie pu faire, dit-elle, je n’ai jamais obtenu votre amour. — C’est vrai, répondit Audley les larmes aux yeux, la nature ne m’avait donné que bien peu de ce que les femmes appellent amour, et je l’avais prodigué à une autre avant de vous connaître. » Et il lui