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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/209

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CHAPITRE LVI.

Léonard ne put naturellement comprendre que certains fragments du récit que nous venons de faire au lecteur.

Il vit seulement que sa malheureuse mère avait été unie à un homme qu’elle aimait d’une tendresse sans égale ; qu’elle avait été amenée à penser que son mariage était frauduleux, était partie pour le continent au désespoir, en était revenue repentante et confiante, et avait entendu parler du mariage de son amant avec une autre. Là se terminait le manuscrit dont les dernières pages étaient tachées de larmes. La triste fin de Nora, son retour chez ses parents et sa mort avaient été racontés à Léonard par le docteur Morgan.

Mais le nom de son mari, vrai ou supposé n’était pas révélé. Léonard comprenait seulement qu’il était d’un rang beaucoup plus élevé que celui de Nora. Harley L’Estrange semblait être clairement désigné par l’écolier amoureux. S’il en était ainsi, Harley devait savoir tout ce qui demeurait encore obscur pour Léonard ; celui-ci résolut donc de lui communiquer le manuscrit. Il quitta le cottage, avec l’intention de revenir pour assister aux funérailles de son ami. Mistress Goodyer lui permit volontiers d’emporter les papiers qu’elle lui avait prêtés ; elle y ajouta même le paquet qu’on avait adressé du continent à mistress Bertram.

Réfléchissant avec tristesse et anxiété au récit qu’il venait de lire, Léonard rentrait dans Londres à pied et se dirigeait vers l’hôtel d’Harley lorsque, au moment où il traversait Bond-Street, un monsieur accompagné du baron Lévy, et qui, à en juger par la rougeur de son visage et le ton élevé de sa voix, venait probablement d’avoir avec l’usurier fashionable un colloque peu satisfaisant, quitta brusquement Lévy et vint prendre Léonard par le bras.

« Excuses-moi, monsieur, dit ce gentleman regardant Léonard en face, mais à moins que mes yeux ne me trompent, ce qui ne leur arrive guère, je retrouve un neveu envers qui je me suis peut-être montré un peu rude, mais qui cependant n’a pas le droit d’oublier Richard Avenel.

— Mon cher oncle, s’écria Léonard ; voici une bien agréable surprise, et cela juste au moment où j’avais grand besoin d’un peu de joie ! Croyez que je n’ai jamais oublié vos bontés et que j’ai toujours regretté notre brouille.

— Bien dit ; donne-moi la main alors. Voyons que je te regarde un peu. Un véritable gentleman, par ma foi ! et beau garçon avec ça. Nous autres Avenel, nous avons toujours été une belle famille. Au revoir, baron Lévy ; vous n’avez que faire de m’attendre ; je ne m’enfuirai pas, soyez tranquille.