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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/210

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— Mais, dit tout bas Lévy qui avait suivi Avenel de l’autre côté de la rue, et examinait Léonard avec curiosité, mais il faut que ce soit comme je vous l’ai dit, quant au bourg, ou bien (pour parler clair) il vous faudra payer les billets au jour de l’échéance.

— Très-bien, monsieur, très-bien, je vous comprends, mon argent ou mon bourg ?

— Précisément, fit le baron avec le plus gracieux sourire.

— Vous aurez de mes nouvelles. (À part tandis que Lévy s’éloigne :) Au diable soit le coquin ! »

Dick Avenel passa alors son bras dans celui de son neveu et pendant dix minutes s’efforça d’oublier ses inquiétudes, en satisfaisant cette curiosité au sujet des affaires d’autrui qui lui était naturelle, et qui en cette circonstance s’augmentait de l’affection réelle qu’il portait à son neveu. Néanmoins longtemps avant que Léonard eût pu vaincre sa répugnance à parler de ses succès littéraires, l’esprit de Dick était revenu à son rival de Screwstown, à la malédiction de la concurrence illimitée, aux billets que Lévy lui avait escomptés afin de le mettre en état de lutter contre un capitaliste plus puissant que lui, et au satané coquin à qui il fallait maintenant deux sièges à Lansmere, un pour Randal Leslie, et l’autre pour un riche nabab dont il venait d’attraper la clientèle, tandis que Dick ne demandait pas mieux que d’obliger Randal, mais désirait garder le second siège pour lui-même.

C’est pourquoi il se laissa aller à tout conter à son neveu, bien plutôt par besoin d’épancher ses chagrins et ses ressentiments qu’avec l’espoir de trouver dans les conseils de Léonard un moyen de se tirer d’embarras.

« C’est bon, c’est bon, dit-il à son neveu ; tu me conteras ton histoire un autre jour. Je vois que tu as prospéré, c’est là l’important. Pour le moment, je ne puis songer qu’à mes propres affaires. Je suis dans un cruel embarras. Screwstown n’est plus la ville respectable que tu as connue, elle est entièrement bouleversée et démoralisée par un enragé capitaliste dont les machines à vapeur seraient capables d’amener les chutes du Niagara dans votre salon, mon cher ! Et comme si cela ne suffisait pas pour ruiner et pour mettre en pièces un pauvre manufacturier anglais comme moi, j’apprends qu’il est en pourparler au sujet d’un infernal brevet qui permettra à ses machines de faire le double de besogne avec moitié moins de bras ! C’est comme ça que ces brigands-là augmentent sans fin notre taxe des pauvres. Mais je monterai une émeute contre lui, il peut en être sûr. Qu’on ne vienne pas me chanter la loi ! À quoi diable la loi est-elle bonne, si elle ne peut protéger l’industrie d’un honnête homme, d’un libéral comme moi encore ! »

Ici Dick se livra à une tempête de malédictions contre le vieux pays pourri en général et contre M. Dyce, le capitaliste monstre de Screwstown, en particulier.

Soudain Léonard fit un geste d’étonnement, car Dick nomma le susdit capitaliste, qui n’était autre que l’homme avec qui il était en marché pour son perfectionnement des machines à vapeur.