Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et vous serez du moins vengée. » Il crut d’autant plus volontiers que lord L’Estrange était aimé de Béatrix, que, la dernière fois qu’il avait vu la marquise, celle-ci l’avait questionné avec beaucoup de curiosité au sujet de la famille de lord Lansmere, particulièrement de la partie féminine. Randal avait alors jugé prudent de garder le silence au sujet de Violante et de feindre l’ignorance, mais il avait promis de s’enquérir, avant de revoir la marquise, de tous les détails que celle-ci désirait connaître. La chaleur qu’elle avait mise à l’en remercier avait éveillé ses soupçons et lui avait suggéré l’idée de la jalousie. Si, comme l’avait plus d’une fois pensé Randal, Harley aimait Violante, le peu de passion qu’avait le jeune homme se trouvait engagé au service de Peschiera ; car si Leslie n’aimait pas Violante, il détestait du moins cordialement Harley.

« Quand ce ne serait pas Harley, se dit Randal, touchons toujours cette corde de la jalousie ; ses vibrations serviront à me diriger. »

Tout en réfléchissant ainsi, il arriva chez Mme di Negra.

La curiosité témoignée par la marquise relativement à la famille de lord Lansmere prenait sa source dans l’intérêt passionné avec lequel Béatrix s’attachait encore à l’image du jeune poète auquel Randal était bien loin de songer. Cet intérêt était rendu plus vif encore par l’irritation douloureuse que lui causait la pensée de l’engagement contracté avec un autre. Un vague espoir d’échapper à sa promesse, le regret d’avoir peut-être été trop prompte à bannir Léonard de sa présence, de n’avoir pas accepté l’amitié qu’il lui offrait et essayé de lutter contre sa rivale inconnue, envahissaient l’esprit de Béatrix et le détournaient complètement de l’avenir qu’elle avait accepté. Et, pour être juste, si défectueux que fût chez elle le sentiment du devoir, si impuissants que fussent sur son esprit les principes qui auraient dû régler sa conduite, la pensée de son ingratitude envers le généreux Hazeldean ajoutait encore à ses tourments, et il lui semblait que la seule expiation qu’elle pût offrir à celui-ci, c’était de trouver un prétexte pour ne pas remplir sa promesse et le sauver ainsi d’une union avec elle. Elle avait fait épier les démarches de Léonard ; elle avait appris qu’il faisait de longues et fréquentes visites chez lady Lansmere, que cette dame avait chez elle deux jeunes filles ; sans doute, c’était l’une d’elles qui attirait Léonard : sa rivale devait être là.

Randal trouva Béatrix dans un état d’esprit tout propre à favoriser son dessein. Il mit d’abord la conversation sur Harley, et, remarquant que le visage de son interlocutrice n’avait pas changé, peu à peu il obtint d’elle l’aveu de son secret.

« Alors, dit-il gravement, si quelqu’un que vous honorez de votre tendresse fait de si fréquentes visites chez lord Lansmere, vous avez réellement sujet d’être inquiète et de faire des vœux pour le succès de votre frère, car lord Lansmere a pour hôte une jeune fille d’une beauté merveilleuse, et, je vous l’avouerai maintenant, cette jeune fille n’est autre que celle dont le comte de Peschiera désire faire sa femme. »