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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/221

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— C’est vrai. Peschiera s’en est vanté à moi-même. Bien entendu, il ne s’est pas présenté ouvertement, mais sous un déguisement quelconque. Je suis néanmoins assez avant dans sa confidence (c’est chose aisée avec cet audacieux vantard) pour le détourner de renouveler sa tentative avant quelques jours. D’ici là, vous ou moi, nous aurons découvert quelque asile plus sûr que celui-ci, où vous pourrez vous établir, et ce sera alors le moment de reprendre votre fille. Pour l’instant, si vous voulez me charger pour elle d’une lettre où vous lui enjoindrez de me recevoir comme son fiancé, cela détournera ses pensées du comte, et je jugerai à la manière dont elle m’accueillera si Peschiera a exagéré ou non l’effet qu’il prétend avoir produit. Vous pourrez me donner aussi une lettre pour lady Lansmere, la priant de s’opposer à ce que votre fille revienne ici. Ô monsieur ! ne raisonnez pas avec moi, soyez indulgent pour les craintes d’un amant. Croyez que je vous conseille pour le mieux. N’y ai-je pas le plus poignant intérêt ? »

Ainsi que bien des hommes fort sages dans leur cabinet, la plume à la main, et avec tout le temps de consulter leur sagesse, Riccabocca était ému, nerveux, troublé lorsqu’il était subitement appelé à mettre en action cette sagesse. Il avait pris assez de greffes sur l’arbre de la science pour greffer une forêt, mais la forêt tout entière ne pouvait lui fournir un solide bâton de voyage. Le gros in-folio du Machiavel mort était là inutile, tandis que le Machiavel de la vie pratique était debout et tout-puissant devant lui. Le sage était aussi docile entre les mains de l’ambitieux que le somnambule devant son magnétiseur. Randal lui dicta pour ainsi dire les lettres qu’il adressa à sa fille et à lady Lansmeie.

Le philosophe aurait bien voulu consulter sa femme ; mais il n’osa confesser cette faiblesse à Randal. Soudain il songea à Harley, et tandis que Randal prenait les lettres qu’il venait d’écrire, il lui dit :

« Là… ceci nous donnera du temps, et j’enverrai chercher lord L’Estrange pour le consulter.

— Mon noble ami, reprit Randal avec tristesse, oserais-je vous prier de ne pas voir lord L’Estrange, du moins jusqu’à ce que j’aie plaidé ma cause auprès de votre fille… jusqu’à ce qu’elle ne soit plus sous le toit de lord Lansmere ?

— Et pourquoi ?

— Parce que je présume que vous êtes sincère en daignant m’accepter pour gendre, et que je suis certain que lord L’Estrange apprendrait avec regret vos bonnes dispositions en ma faveur. Me trompé-je ? »

Riccabocca garda le silence.

« Bien que ses arguments échouassent nécessairement auprès d’un homme d’honneur et de discernement tel que vous, ils pourraient avoir plus d’effet sur l’esprit de votre fille. Réfléchissez, je vous en conjure, que plus on l’indisposera contre moi, plus elle sera accessible aux artifices du comte. Je vous supplie donc de ne rien dire.