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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/230

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poir de servir son père, ce péril lui semblait d’ailleurs peu de chose en comparaison de celui dont la menaçaient les prétentions de Randal, appuyées de l’approbation de son père. Randal avait dit que Mme di Negra seule pouvait l’aider à lui échapper. Harley, de son côté, était convenu que la marquise avait des qualités généreuses, et quelle autre que Mme di Negra pouvait se dire une parente et signer Béatrix ?

Un peu avant l’heure désignée. Violante se glissa parmi les arbres, ouvrit la petite porte du jardin et se trouva dans la ruelle solitaire. Au bout de quelques minutes, une femme voilée s’avança vers elle d’un pas rapide et léger ; rejetant son voile en arrière, elle dit avec une sorte d’ardeur et d’énergie contenues :

« Est-ce vous ? Ah ! l’on m’avait dit vrai ! Belle ! merveilleusement belle ! Et quelle jeunesse ! quelle fraîcheur ! »

Violante, surprise de ce ton et intimidée par ces louanges, garda un moment le silence, puis dit avec hésitation :

« Vous êtes, à ce que je présume, la marquise di Negra ? Ce que l’on m’a dit de vous m’a encouragée à la confiance.

— On vous a parlé de moi ? Qui donc ? dit vivement Béatrix,

M. Leslie, et… et…

— Continuez, pourquoi hésitez-vous ?

— Lord L’Estrange…

— Et pas d’autres ?

— Non, pas que je me souvienne. »

Béatrix soupira profondément et laissa retomber son voile. Quelques passants longeaient la ruelle, et voyant deux dames d’une tournure si remarquable, ils s’arrêtèrent à les regarder avec curiosité.

« Nous ne pouvons causer ici, dit Béatrix avec impatience, et j’ai tant de choses à vous dire, à vous demander ! Fiez-vous à moi tout à fait. C’est dans votre intérêt que je parle. Ma voiture m’attend là-bas ; venez chez moi, je ne vous y retiendrai pas plus d’une heure et je vous ramènerai ici. »

Cette proposition effraya Violante. Elle recula vers la porte avec un geste de refus. Béatrix posa sa main sur le bras de la jeune fille et, levant de nouveau son voile, la regarda avec une expression où le mépris se mêlait à l’admiration.

« Et moi aussi, j’aurais autrefois reculé à l’idée d’enfreindre d’un seul pas la ligne de convention que le monde trace entre nous et la liberté. Et maintenant, voyez comme je suis hardie. Enfant, ne jouez pas avec votre destinée. Peut-être cette occasion ne se retrouvera-t-elle jamais ? Ce n’est pas seulement dans le but de vous voir que je suis ici ; il faut que je sache quelque chose de vous, quelque chose de votre cœur. Pourquoi frémir ? Ce cœur n’est-il donc pas pur ? »

Violante ne répondit rien ; mais son sourire doux et fier humilia celle qui l’avait interrogée.

« Je puis rendre à votre père son pays, dit Béatrix d’une voix altérée. Venez ! »